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traître, s’écria-t-elle, défends-toi ! Le fier-à-bras se releva confus au milieu des huées des assistans, et se défendit mal, car, à la seconde passe, l’épée de Catalina lui traversa la gorge, et il tomba en vomissant des flots de sang. L’alferez, sur le conseil de ses amis, prit la fuite aussitôt et se cacha pendant quelques jours ; mais, comme en définitive il avait été provoqué et qu’il s’était battu loyalement, on ne donna point suite à l’affaire.

Au lieu de modérer la fougue de Catalina, ce duel l’enivra plus encore, et rien ne semblait pouvoir l’arrêter en si beau chemin, quand un épouvantable malheur vint mettre pour quelque temps un terme à ses extravagances. Après la mort du nouveau Cid, l’alferez Diaz avait jugé prudent de garder la chambre pendant quelques jours, et il s’ennuyait passablement au logis, lorsqu’un soir un de ses amis, Juan de Silva, alferez comme lui, vint le trouver et demanda à lui parler en secret. Il était fort pâle et semblait dans une grande agitation. Une heure auparavant, raconta-t-il, il avait eu avec Francisco de Rojas une discussion violente qui avait abouti à une provocation. Ils étaient convenus de se rencontrer cette nuit même, à onze heures, derrière le couvent de Saint-François, et chacun d’eux devait amener un témoin. Le choix d’un ami, dans une circonstance pareille, pour vous assister pendant un combat nocturne qui passerait peut-être pour un assassinat, était chose délicate, et don Juan de Silva, pour son compte, ne connaissait pas un homme au monde, autre que Pietro Diaz, qu’il voulût avoir à ses côtés. Il venait donc demander ce service à son ami. Pietro refusa ; après l’affaire qu’il venait d’avoir, ce n’était guère le moment de braver si ouvertement la justice ; quantité d’officiers étaient là d’ailleurs qui pouvaient l’assister aussi bien, sinon mieux que lui. Don Juan insista, et, comme Pietro tenait bon, il s’éloigna tristement, disant qu’il irait seul au rendez-vous, et que, s’il était tué, Diaz aurait peut-être à se reprocher sa mort. L’alferez avait bon cœur ; le cliquetis des épées n’était pas sans charme à son oreille. Tout bien réfléchi, il rappela son ami et accepta. La fatalité le voulait ainsi.

Après avoir dîné ensemble, les deux enseignes prirent leurs épées, leurs manteaux, et, au coup de dix heures, se dirigèrent vers l’endroit désigné. C’était une de ces soirées sombres, étouffantes, qui précèdent ordinairement, dans les pays voisins des tropiques, des ouragans terribles. L’air pesant, à peine respirable, était chargé de cette électricité qui a une si grande influence sur les personnes nerveuses, et l’obscurité si profonde que, marchant côte à côte, les deux amis s’entrevoyaient à peine. Quoique peu sensible en général, comme on peut le croire, aux circonstances atmosphériques, Diaz, soit regret, soit pressentiment, se sentait mal à l’aise. À plusieurs reprises il essaya de faire entendre raison