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senal du couvent ; ainsi équipé, il se mit une nuit en route, décidé à s’éloigner pour toujours de ce fatal pays. Aller à droite ou à gauche, au nord ou au sud, cela ne lui importait guère son remords devait le suivre partout comme son ombre. L’alferez marcha donc au hasard, à ce qu’il crut ; mais l’instinct de la conservation l’éloignait des sentiers déserts et le poussait vers les bords de l’Océan.

Catalina suivit les côtes pendant trois jours ; au bout de ce temps, son cheval harassé refusant d’avancer, elle résolut de gagner un bouquet d’arbres qu’elle apercevait à peu de distance et où elle espérait trouver pour elle un abri, pour sa monture un peu d’herbe. Elle avait marché de ce côté et elle se disposait à mettre pied à terre, lorsque du fond des taillis une voix retentissante cria : « Qui vive ! — Espagne ! répondit machinalement Catalina. — Que gente ! ajouta la voix. — De paz, répliqua-t-elle. Aussitôt deux hommes déguenillés et barbus, maigres et hâves, sortirent du fourré et s’avancèrent vers la voyageuse. À la vue de ces sacripans, Catalina avait prudemment décroché son arquebuse ; elle la remit en place en les voyant sans armes, et attendit. C’étaient deux déserteurs, comme elle l’apprit bientôt. S’ils sortaient des camps ou des galères, c’est ce que Catalina ne sut jamais très clairement, et il y avait à parier que d’honnêtes gens n’auraient pas choisi par goût une retraite pareille ; mais au désert on n’est pas difficile sur le choix de sa société, celle-là d’ailleurs était obligatoire, et l’aventurière s’en contenta. Moyennant son dernier morceau de pain, qu’elle partagea généreusement, elle se fit des amis de ces deux misérables qui mouraient de faim. Tout en mangeant, la connaissance se fit. Les deux caballeros, s’ils n’expliquaient point suffisamment les causes de leur départ, ne cachaient pas du moins le but de leur voyage. Ils allaient à Tucuman, de là ils comptaient gagner ces contrées voisines du fleuve Dorado, où, selon l’opinion générale des soldats espagnols de cette époque, les ruisseaux charriaient du sable d’or et des cailloux de diamans. L’entreprise n’était pas petite : il fallait d’abord traverser les cordillères des Andes et plus tard un vaste pays ; mais d’autres avaient fait ce trajet avant eux, pourquoi ne le feraient-ils pas ? S’ils réussissaient, ils seraient largement payés de leurs peines, et, s’ils ne réussissaient pas, ils en seraient quittes pour périr de froid dans les montagnes au lieu de mourir de faim dans la plaine. Ce raisonnement sembla fort judicieux à Catalina ; elle ne tenait guère à la vie d’ailleurs, et ne savait trop où aller ; tout bien réfléchi, elle s’associa aux deux aventuriers. Se dirigeant vers l’est, ils commencèrent le lendemain à gravir les montagnes. Avant de partir, ils avaient eu soin d’amasser dans le bois une provision de racines et de baies sauvages dont ils avaient chargé le cheval de l’alferez. Ces ressources ne les menèrent pas loin ; lorsqu’après quelques jours de fatigues de tout genre,