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seau. À peine avait-il quitté l’Éléphant, que Nelson fit signal à son escadre d’appareiller par un mouvement successif et de sortir du chenal en passant sous la batterie des Trois-Couronnes. L’exécution de cette manœuvre prouva combien elle eût été impraticable avant la suspension des hostilités. Le Defiance et l’Éléphant s’échouèrent à portée de canon des batteries danoises ; une frégate se jeta également sur le Middel-Grund ; le tiers de la flotte anglaise se trouvait à la côte. Le moment, il faut bien l’avouer, eût été mal choisi pour se montrer exigeant. Nelson, qui s’était empressé de suivre le général Lindhohn à bord du London, engagea vivement l’amiral Parker à convenir d’une trêve de vingt-quatre heures, pendant laquelle on pourrait relever les vaisseaux échouée et entamer des négociations plus sérieuses.


IV.

Bien qu’accablés de fatigue, les Anglais ne perdirent point un instant de cette trêve inespérée. Aidés par les embarcations de la division de sir Hyde Parker, ils remirent pendant la nuit leurs vaisseaux à flot, et remorquèrent leurs prises hors de la portée des batteries danoises ; ils s’emparèrent même du vaisseau le Syœlland, dont la capture eût pu être contestée, et que le commandant de la batterie des Trois-Couronnes, provoqué en duel pour cette faiblesse par le commodore Stein Bille, eut le tort de laisser enlever sous la volée de ses canons.

Cette journée si activement employée par les Anglais fut un jour de deuil pour Copenhague. Au milieu de ces hommes mutilés et mourans qu’on transportait dans les hôpitaux, parmi ces cadavres défigurés auxquels on allait rendre les derniers devoirs, chacun venait en tremblant chercher un ami, un époux ou un père ; des femmes éplorées remplissaient les rues de leurs gémissemens, ou se dirigeaient en courant vers la campagne emportant leurs enfans dans leurs bras. On pleurait les pertes de la veille ; on fuyait les dangers qu’on appréhendait pour le lendemain. Cette grande cité n’était pas encore habituée aux malheurs de la guerre ; les plus vieux habitans de Copenhague n’avaient jamais entendu le canon de l’ennemi gronder sous ses murs. À la douleur publique l’orgueil national mêlait cependant une noble exaltation ; on se sentait grandi aux yeux de l’Europe par cette honorable défaite, et on s’encourageait mutuellement à ne pas démentir ces glorieux précédens.

Le soir même, Nelson eut une entrevue avec le prince royal. Il descendit à terre accompagné des capitaines Hardy et Freemantle ; une escorte nombreuse l’attendait sur le rivage et le conduisit jusqu’au palais. Il traversa ainsi une foule compacte et menaçante accourue sur son passage, et porta au prince les propositions de l’amiral Parker. Ce