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bien, dans l’obscurité, par cette nuit orageuse, s’était-elle noyée en débarquant sans qu’on s’en aperçût ? Cette opinion semble la plus raisonnable, et cependant on ne retrouva pas son cadavre dans le port. Un requin sans doute avait dévoré Catalina ; beaucoup de gens qui valaient mieux qu’elle n’ont pas eu d’autre sépulture. Au reste, la renommée de l’aventurière ne fit que gagner à une fin si étrange. On ne manqua pas d’y voir le doigt du démon, et il se trouva parmi les habitans de Vera-Cruz quelques bonnes ames qui affirmèrent avoir positivement senti, ce soir-là, à cette même heure, une forte odeur de soufre, Catalina, dont on connaissait à merveille la condition réelle, n’était plus jeune ; le temps était passé des querelles, des rodomontades, des scènes de cape et d’épée. Elle allait devenir, sans nul doute, au pays même de ses exploits, une vieille ridée et fort ridicule ; grace à cet heureux accident, elle finit par une apothéose. Sortir à propos de la vie, dit un grand historien, est une des conditions de la gloire.


VI.

Maintenant qu’on a suivi Catalina du berceau à la tombe, il me reste, pour compléter ce récit, un dernier chapitre à écrire ; il s’agit, en un mot, de faire, si cela se peut dire, l’histoire de cette histoire. Non-seulement, je le répète, Catalina a vécu, non-seulement Catalina a écrit ses mémoires, mais elle a trouvé, chose rare, un consciencieux éditeur. L’écrivain espagnol dont le zèle louable a fait connaître cette curieuse relation, M. de Ferrer, éloigné de son pays par les événemens politiques, habitait la France voici tantôt dix-sept ans. Il avait jadis entendu dire à un de ses amis, M. Bauza, ancien conservateur des archives de la marine à Madrid, qu’il existait dans ses cartons un curieux manuscrit, intitulé : Vida y sucesos de la Monja alferez doña Catalina de Araujo, doncella natural de San-Sebastian, escrita por ella misma. Ce manuscrit avait été copié sur l’original, qui est déposé dans la bibliothèque royale de Séville. M. de Ferrer n’avait d’abord vu qu’un conte dans le récit bizarre de cette femme, qui était de sa province ; aussi ne fut-il pas peu surpris lorsque, parcourant un jour de vénérables chroniques du temps de Philippe III, il trouva un long chapitre consacré aux hauts faits de l’héroïne de Saint-Sébastien. M. Bauza n’était plus aux archives de la marine, les troubles politiques l’avaient forcé aussi de quitter l’Espagne, il vivait à Londres. M. de Ferrer lui écrivit, et, sur les indications de l’ancien archiviste, il put se procurer une copie du manuscrit.

À la première lecture, une particularité du récit frappa désagréablement M. de Ferrer : c’était le nom même de l’héroïne, Araujo ou Arauso, qui était parfaitement inconnu dans sa province. Il imagina