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Bien que descendant d’une même souche, ils sont divisés en une multitude de peuplades sans relations entre elles, ayant des usages divers et n’entendant point réciproquement leur langage. Lors de ses premières excursions le long des côtes occidentales, le Beagle avait à bord un indigène de la rivière des Cygnes nommé Miago. Dans ses rencontres avec des indigènes qui habitaient pourtant une partie de l’île assez voisine du territoire de sa propre tribu, Miago ne put traduire un seul mot de leurs conversations. Les études faites jusqu’à ce jour sur le vocabulaire de ces peuplades sont encore trop incomplètes, trop peu précises, pour permettre de saisir le génie de leur langue. Il serait néanmoins très intéressant de savoir si les divers idiomes ne sont pas de simples dialectes dérivant d’une même origine.

L’état sauvage ne change pas de pays à pays comme la sociabilité : des peuples civilisés. Monotone de sa nature, cet état reproduit partout une même dégradation qui se manifeste dans des usages à peu près pareils. La vie des nègres de la Nouvelle-Hollande ressemble, sous beaucoup de rapports, à la brutale existence des tribus de Bornéo. Quelques traits particuliers méritent seuls d’être signalés. Les indigènes de l’Australie ne sont pas dans l’habitude de se tatouer, mais ils s’enlèvent des lambeaux de chair qui laissent sur leur corps des cicatrices ineffaçables. Ces cicatrices sont regardées parmi eux comme un infaillible moyen de plaire aux femmes. On découvre aisément l’idée qui se cache sous cette barbare coutume : jouer avec la douleur, paraître endurci au mal, n’est-ce pas donner au sexe le plus faible des gages de l’audace et de la fermeté qu’il veut trouver chez ses protecteurs ? C’est ainsi qu’il faut expliquer encore l’usage adopté par plusieurs peuplades d’arracher les dents de devant aux jeunes garçons, quand arrive l’âge de se marier[1].

La couleur des nègres océaniens est moins foncée que celle des noirs d’Afrique ; mais l’hypothèse d’une race presque blanche, trop légèrement admise sur des indices insuffisans, est aujourd’hui complètement discréditée. Les naturels du continent austral sont le plus habituellement tout-à-fait nus ; quelques-uns ont pour tout vêtement une ceinture de peau ou des feuilles d’arbre. Leur corps est assez bien proportionné. Leurs cheveux, d’un noir d’ébène, plus souvent droits que frisés, rarement laineux, sont parfois relevés sur le devant de la

  1. Les indigènes se font sauter les dents à coups de maillet. Au Port-Essington, l’officier de santé de l’établissement est parvenu à persuader aux naturels que sa manière d’extirper les dents était préférable à cette barbare méthode. Aussitôt, le subrécargue d’un navire anglais s’est mis à acheter ces dents remarquables par l’éclat de leur émail, dans l’intention de les revendre aux dentistes de Londres. C’est un commerce qui a dû réussir, car les sauvages sont capables de tous les sacrifices pour un mouchoir rouge ou pour un verre d’eau-de-vie.