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Le fait principal qui, dans la situation, domine tout le reste d’une immense hauteur est donc un enchérissement des subsistances. C’est assurément beaucoup pour les pauvres gens, pour ceux qui ont à gagner chaque jour leur pain et celui de leur famille à la sueur de leur front, mais en soi ce n’est pas du tout une crise commerciale ni financière, et, à proprement parler, c’est toute la difficulté. La rareté métallique éprouvée par la Banque n’en est qu’un accident. Je ne conteste pas, et je m’en expliquerai plus en détail tort à l’heure, que cet accident ne mérite d’être pris en grande considération ; mais on doit poser en principe que tous les actes de la Banque, de même que ceux de l’administration publique, devaient se subordonner à la nécessité de parer avant tout à la pénurie que les élémens conjurés infligeaient aux masses populaires. Certainement la Banque devait faire de prompts efforts pour se tirer elle-même de peine, en admettant qu’elle y fût ; mais il lui était interdit d’adopter aucune mesure qui pût retarder le soulagement des populations. Si, sous prétexte de ce qu’un redoublement d’activité dans les entreprises de travaux publics d’un bout à l’autre du royaume tend à faire sortir des caves de la Banque les écus dont celle-ci a besoin d’avoir une forte réserve, ce qui est vrai, le gouvernement eût ralenti les travaux au lieu d’ordonner, ainsi qu’il l’a fait, qu’on leur imprimât un redoublement d’activité, il n’y aurait eu qu’une voix à Paris et partout pour dénoncer au monde tant de démence. Les régens de la Banque se fussent unis, pour protester, à leurs concitoyens indignés. Et cependant, qu’on me permette de le dire, la mesure qu’a prise la Banque de France n’a-t-elle pas une tendance semblable à l’acte que je viens de supposer, par une hypothèse bien fictive, de la part de l’autorité publique ?

Le mal était une cherté momentanée de la vie parmi les populations qui vivent de leur travail journalier, le remède est indiqué : il n’en est qu’un, c’est d’assurer le travail, ressource unique du plus grand nombre. Je comprends dès-lors très bien ce qu’a cherché à faire le gouvernement, le développement des travaux publics sur tous les points du territoire ; en présence d’une cause extraordinaire de misère, le travail extraordinaire ; mais on ne conçoit plus la conduite de la Banque. Pour reprendre les expressions de Turgot que je citais tout à l’heure, il fallait au moins maintenir cette espèce de niveau au-dessous duquel tout travail, toute culture, tout commerce cesse, et la Banque n’a vu rien de mieux à faire que de l’élever dans une forte proportion.

La Banque dit qu’en cela elle a pris modèle sur la banque d’Angleterre qui, dans des circonstances semblables, à ce qu’on assure, a élevé le taux de l’intérêt. La banque d’Angleterre, d’abord, n’est point infaillible, elle s’est plus d’une fois trompée, et les plus habiles financiers de l’Angleterre lui ont quelquefois reproché hautement d’aggraver les crises qu’elle avait mission de soulager. Il ne faut imiter la banque