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Élie fut enlevé au ciel dans un char de feu, je crois bien que ce fut aussi le lieu où Persée délivra Andromède ; — mais il faudrait avoir toute une bibliothèque avec soi pour vérifier ces détails.

Nous remettons à la voile, et désormais notre voyage est une fête ; nous rasons à un quart de lieue de distance les côtes de la Célé-Syrie, et la mer, toujours claire et bleue, réfléchit comme un lac la gracieuse chaîne de montagnes qui va du Carmel au Liban. Six lieues plus haut que Saint-Jean-d’Acre apparaît Sour, autrefois Tyr, avec la jetée d’Alexandre, unissant à la rive l’îlot où fut bâtie la ville antique qu’il lui fallut assiéger si long-temps.

Six lieues plus loin, c’est Saïda, l’ancienne Sidon, qui presse comme un troupeau son amas de blanches maisons au pied des montagnes occupées par les Druses. Ces bords célèbres n’ont que peu de ruines à montrer comme souvenirs de la riche Phénicie ; mais que peuvent laisser des villes où a fleuri exclusivement le commerce ? Leur splendeur a passé comme l’ombre et comme la poussière, et la malédiction des livres bibliques s’est entièrement réalisée, comme tout ce que rêvent les poètes, comme tout ce que nie la sagesse des nations !

Cependant, au moment d’atteindre le but, on se lasse de tout, même de ces beaux rivages et de ces flots azurés. Voici enfin le promontoire du Raz-Beyrouth et ses rochers grisâtres, dominés au loin par la cime neigeuse du Sannin. La côte est aride ; les moindres détails des roches tapissées de mousses rougeâtres apparaissent sous les rayons d’un soleil ardent. Nous rasons la côte, nous tournons vers le golfe ; aussitôt tout change. Un paysage plein de fraîcheur, d’ombre et de silence, une vue des Alpes prise du sein d’un lac de Suisse, voilà Beyrouth, par un temps calme. C’est l’Europe et l’Asie se fondant en molles caresses ; c’est, pour tout pèlerin un peu lassé du soleil et de la poussière, une oasis maritime où l’on retrouve avec transport, au front des montagnes, cette chose si triste au nord, si gracieuse et si désirée au midi, — des nuages !

O nuages bénis ! nuages de ma patrie ! j’avais oublié vos bienfaits ! — Et le soleil d’Orient vous ajoute encore tant de charmes ! Le matin vous vous colorez si doucement, à demi roses, à demi bleuâtres, comme des nuages mythologiques, du sein desquels on s’attend toujours à voir surgir de riantes divinités ; le soir, ce sont des embrasemens merveilleux des voûtes pourprées qui s’écroulent et se dégradent bientôt en flocons violets, tandis que le ciel passe des teintes du saphir à celles de l’émeraude, phénomène si rare dans les pays du Nord.

A mesure que nous avancions, la verdure éclatait de plus de nuances, et la teinte foncée du sol et des constructions ajoutait encore à la fraîcheur du paysage. — La ville, au fond du golfe, semblait noyée dans les feuillages, et, au lieu de cet amas fatigant de maisons peintes à la chaux qui constitue la plupart des cités turques, je croyais voir une réunion