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d’une activité sans objet et d’un zèle sacrilège. En 1801, il adressait à Nelson des projets pour la défense des côtes d’Angleterre, comme il communiquait en 1814 des plans de campagne à Wellington pour l’invasion de la France[1].

L’émotion qu’excitait la réunion de cette flottille dans la Manche était donc plus réelle et plus profonde qu’on ne voulait en convenir. Ce projet de descente, que les Anglais affectaient en vain de mépriser, contribua puissamment au succès des négociations déjà entamées pour le rétablissement de la paix. Une lassitude universelle accablait d’ailleurs les esprits, et les hommes qui avaient traversé ces années d’épreuves avec le plus d’éclat soupiraient eux-mêmes après un repos qu’ils avaient cessé de connaître. Le comte de Saint-Vincent, qui avait assisté à trois grandes guerres, n’avait jamais vu de pareils combats, des champs de bataille aussi meurtriers. « Quels ravages cette guerre a faits dans nos rangs ! écrivait-il à Nelson en apprenant la mort du capitaine Parker. Puissions-nous toucher au terme de ces sacrifices ! » Quant à Collingwood, employé en ce moment devant Brest sous les ordres de l’amiral Cornwallis, il accueillit avec un touchant enthousiasme l’annonce d’une paix prochaine. « J’espère bien, écrivait-il alors, que notre génération a vu la fin de sa dernière guerre ! » Naïve illusion destinée à un triste mécompte ! Le 12 octobre 1801, les hostilités furent suspendues entre l’Angleterre et la France : le traité d’Amiens, qui intervint six mois plus tard, consacra cette trêve et servit à la prolonger ; mais la lutte n’était qu’interrompue, elle allait bientôt reprendre avec plus d’acharnement que jamais. De 1793 à 1802, la guerre s’était parfois ralentie ; les peuples épuisés avaient paru se prêter à un rapprochement. Le désir de la paix était dans tous les cœurs : on en avait parlé, on en avait traité long-temps avant de la conclure. De 1803 à 1814, rien de pareil ne vint entraver les hostilités et calmer l’âpreté d’une haine mortelle. Quand l’arène se rouvrit pour les deux puissans adversaires, l’Europe, encore émue, ne se prononça point entre eux. La France était debout sur la plage de Boulogne, l’Angleterre en face ; l’Europe attendait ; elle attendit deux ans. Ce sont ces deux années qu’il nous reste à parcourir. Elles ont vu le premier revers de l’empire, la dernière victoire de Nelson.

E. Jurien de La Gravière.
  1. « J’ai beaucoup étudié (écrivait Dumouriez à Nelson en lui adressant un long mémoire sur la défense des côtes d’Angleterre), j’ai beaucoup étudié pendant vingt ans la matière de cette note ; alors c’était comme militaire français que j’étudiais les moyens de descendre sur vos côtes. À présent, un intérêt plus noble nous unit à la même cause, celle des rois, de la religion, des mœurs et des lois. Leur sort, celui de l’Europe entière, est attaché au salut de votre patrie. Soyez la caution du désir que j’ai d’y contribuer. À cet intérêt général se joint celui de la tendre amitié qui m’unit à vous pour la vie. »