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en plaçant les peuples dans une condition différente de celle que leur a faite, pendant trente ans, le souvenir de la domination française, tend à leur rendre l’entière conscience de leurs destinées et de leurs droits. Pendant que la France, du haut de ses deux tribunes, répudie solennellement les traditions de l’empire et qu’elle aspire à reprendre dans le monde la mission désintéressée à laquelle l’a préparée sa noble histoire, l’Italie palpite sous une pacifique parole, et pour la première fois le volcan jette autre chose que des cendres et des flammes. Les grandes municipalités de l’Helvétie terminent dans l’anarchie le cours de leur vie historique pour en recommencer une autre, dont les conditions échappent encore à toutes les prévisions humaines. Remuée jusque dans les dernières couches sociales par les doctrines politiques les plus diverses, agitée par une réaction religieuse en même temps que par le hideux fanatisme de la matière et du néant, l’Allemagne s’éveille à l’action par la pensée, échappant de plus en plus aux faibles gouvernemens qui la régissent sans la dominer. La Prusse est entraînée par l’irrésistible puissance de l’opinion dans des voies où son gouvernement entre avec trop de timidité pour demeurer long-temps le maître du mouvement qui l’emporte. De Stuttgart à Berlin, entre les constitutions de 1819 et celle de 1847, va s’engager une rivalité d’efforts qui élargira bientôt pour tous les états allemands la base sur laquelle s’élève au-delà du Rhin l’édifice de la liberté politique.

Ainsi se brise, au souffle de l’esprit nouveau, le faisceau de la grande alliance scellée aux champs de Leipsig, et le génie allemand reprend ses capricieuses allures, si long-temps contenues par la haine de l’étranger et par les susceptibilités d’une nationalité pédantesque. Pendant que la Germanie a le clair pressentiment de ses destinées nouvelles, les races slaves s’agitent du fond de la Bohême au détroit des Dardanelles, sous l’impulsion de leurs propres instincts et sous celle des idées françaises ; enfin, à tous ces craquemens d’un monde qui chancelle, l’empire ottoman menace de joindre le bruit de sa ruine immense.

L’œuvre qui s’élabore ne s’accomplira pas sans une crise pour laquelle le premier devoir de la France est de se préparer. S’imaginer que la face des sociétés sera renouvelée sans que notre pays sorte de son repos, croire que les diplomates et les banquiers resteront les maîtres des événemens, parce qu’ils les ont dominés long-temps, c’est faire la part des hommes trop grande et celle de Dieu trop petite. Un rôle actif nous est réservé dans les péripéties diverses de ce grand drame ; gardons-nous de le répudier par avance ! Continuer, en présence des signes qui s’annoncent, à fonder toute la politique de la France sur l’utopie de l’abbé de Saint-Pierre, serait à la fois une folie et un crime. Sachons prolonger la paix par notre modération, sans nous y river par notre imprévoyance ;