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soulevées par le récit, voilà ce qui doit appeler notre attention et nos éloges. Il est des œuvres qui, par leur nature même, ne peuvent prétendre à un succès de vogue, mais auxquelles les hommes d’étude et de savoir dans l’Europe forment un public d’élite. Ce sont en définitive les arrêts de ce tribunal qui assignent à chaque écrivain la place qu’il doit occuper dans l’estime publique ; l’auteur, nous le croyons du moins, n’aura pas à se plaindre de celle qui lui est réservée.

I.

La vie de Théodoric n’avait encore été le sujet d’aucun ouvrage spécial, car on ne saurait compter l’histoire écrite en latin par Cochlæus vers 1479 ; mais tous les écrivains qui ont eu à s’occuper de l’histoire moderne ont rencontré cette noble figure au début de leur œuvre. Théodoric était de cette race princière des Amales dans laquelle les Ostrogoths choisissaient leurs rois. Nous laisserons Grotius donner sa généalogie, qui remonte jusqu’aux demi-dieux du paganisme scandinave. À l’époque où il naquit, en 424, les Ostrogoths, sous la conduite de Théodomir, son père, s’étaient établis sur les flancs de l’empire romain, dans cette partie de la Hongrie qui touche aux portes de Vienne. Ils étaient campés là, sur des terres conquises ou cédées par les empereurs, tantôt ennemis redoutés, poussant leurs incursions jusque dans le voisinage de Constantinople, tantôt auxiliaires chèrement payés, chargés de défendre la frontière de l’empire contre les autres barbares. Leur bravoure et leur fidélité étaient d’ailleurs proverbiales. C’étaient eux qui formaient la garde personnelle de l’empereur ; ils remplissaient auprès de lui le rôle qui a été confié aux Suisses dans plusieurs monarchies de l’Europe ; des capitulations signées avec eux les assujétissaient à un service militaire ; on détournait ainsi au profit de l’empire cette ardeur guerrière qui, sans direction, eût été un danger sérieux.

Une telle situation devait amener cependant, et amenait des défiances et des griefs réciproques : après quelques hostilités, l’empire achetait de nouveau la paix. Ce fut à l’occasion, d’une trêve de ce genre que des otages furent demandés au chef des Goths Théodomir. Son fils Théodoric fut envoyé à Constantinople ; il y demeura dix années. L’histoire ne nous apprend pas sous quel maître, sous quelle discipline, s’écoula pour lui cette première partie de la jeunesse qui complète la nature et décide du cours de la vie. Ce prince, sorti d’une tribu à demi sauvage, otage à la cour des empereurs, fut-il retenu captif par leur politique, ou le laissa-t-on se mêler librement dans les écoles publiques avec la jeunesse romaine ? Rien encore, dans les documens écrits, ne peut nous aider à résoudre ces questions, et cependant c’est par l’éducation