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qui y conduisent, une grande étendue du pays jouit encore de la liberté et du repos : le sol n’est point foulé par les soldats étrangers, et le bruit des armes y arrive à peine :

No strepito di Marte
Ancor turbò questa remota parte.

Là, Boëce composa les ouvrages nombreux qui sont arrivés jusqu’à nous. L’activité de sa pensée se portait sur toutes les sciences ; la philosophie, l’astronomie, la théologie, la musique, rien ne lui fut étranger. Les traités qu’il écrivit sur ces matières diverses témoignent à la fois de l’étendue de ses connaissances et du calme profond qui régnait autour de lui. Les recherches de luxe et d’élégance qui décoraient sa maison auraient été incompatibles avec une existence inquiète et menacée ; il parle lui-même « de cette bibliothèque ornée de riches sculptures en ivoire et de glaces polies, où la sagesse avait établi son trône et rendait ses oracles par la voix des philosophes de l’antiquité. » Les heures passées dans cette bibliothèque revenaient souvent au souvenir de Boëce, dans la prison où il composait ses derniers vers ; elles n’avaient point été perdues ; elles l’avaient préparé à soutenir cette épreuve et à mourir digne de ces grands hommes dont il admirait la vertu.

Cependant la domination de Théodoric s’affermissait chaque jour par les bienfaits de l’ordre et de la paix : il était difficile à un homme aussi illustre que Boëce de se refuser long-temps aux vœux de ses concitoyens, qui l’appelaient à Rome, aux désirs du roi, qui voulait, sans distinction de races ou de partis, s’entourer des plus dignes et des plus habiles. Il revint à Rome. Créé patrice l’année même où Théodoric y fit son entrée solennelle, il fut chargé de le recevoir et de le haranguer à la tête du sénat. « Il sut, dit Procope, satisfaire le vainqueur en maintenant la dignité du sénat et se faire admirer également des deux nations. »

Dès-lors, les dignités et les honneurs s’accumulèrent sur la tête de Boëce. Il y eut comme une émulation entre ses concitoyens et le roi des Goths pour le combler de tous les titres, pour lui décerner toutes les dignités renouvelées de l’ancienne république ou empruntées à la hiérarchie du Bas-Empire. Il fut successivement nommé préfet du prétoire, maire du palais, deux fois consul. Le consulat était alors conféré par le sénat, avec l’approbation du roi. Cette double élection était un symbole de l’esprit de concorde qui unissait pour un moment les deux peuples. En servant sa patrie, Boëce fortifiait de son concours l’établissement de Théodoric ; aussi voyons-nous celui-ci lui accorder toutes les marques de sa confiance. Il le mandait souvent à Ravenne, le consultait sur tout ce qui regardait l’administration des villes romaines. Il