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de cette ambassade un tel personnage ; le pape devait trahir ou la confiance qu’on lui montrait ou sa propre conscience, le roi ou la religion. Est-ce lui faire injure que de croire qu’il aima mieux, selon la phrase célèbre, obéir à Dieu qu’aux hommes ? L’empereur reçut le pape avec les honneurs les plus éclatans, disons mieux, les plus compromettans. Il alla à sa rencontre aux portes de la ville, et se fit couronner par lui une seconde fois dans l’église de Sainte-Sophie. Quant à l’objet même de l’ambassade, à peine s’il en fut question ; les nouvelles instances de Théodoric furent repoussées, et la persécution contre les ariens redoubla.

C’est alors que Théodoric, sentant que tout espoir de conciliation était perdu, furieux de se voir trahi par ses propres sujets, ordonna qu’on exécutât la sentence prononcée par le sénat contre Boëce. Il envoya le préfet Eusèbe dans la prison, pour chercher à lui arracher le nom de ses complices. « Eusèbe se rendit dans la prison de Calvance avec cet appareil qui suit les bourreaux. Le grand homme, exercé par une longue pratique de la vertu, le reçut avec le même sang-froid qu’il mettait naguère à disserter sur ses malheurs. On lui demanda des aveux ; il n’en fit pas. Alors commença pour lui, entre le déchirement de la chair et la fermeté de l’ame, une de ces luttes mémorables dont l’historien, par une puérile et lâche délicatesse, ne doit point sauver la vue à son lecteur, dont il doit au contraire le repaître en quelque sorte, et se repaître lui-même, pour qu’elle serve à l’un et à l’autre d’enseignement incomparable. En regardant ce corps étendu en cercle sur une roue et meurtri par le bâton, cette tête qui sera bientôt tranchée, mais que d’abord enroule triplement une corde serrée par un treuil jusqu’à faire sortir les yeux de leur orbite (car telles furent les épreuves que Boëce eut à subir) ; en contemplant du même coup cette puissance qu’il faut bien nommer volonté, après tout, qui résiste pour des choses dont elle n’a point d’idées précises, qui demeure toujours calme, toujours la même au milieu des cris que la douleur arrache à son sujet, n’est-on pas plus clairement informé de la double nature et de la véritable fin de l’homme que par les plus profondes études sur la source et les phénomènes de l’entendement[1] ? »

Sans doute il faut quelque effort pour raisonner froidement après cette vive peinture du courage et de la volonté aux prises avec l’horreur des supplices. Que l’on songe cependant aux temps dont nous retraçons l’histoire ; qu’on éloigne tous ces sanglans appareils que la cruauté des hommes ajoutait alors à la mort de leurs semblables : il ne restera plus que l’exécution d’une sentence capitale, rendue par le sénat lui-même contre un sénateur accusé de haute trahison. Toutefois,

  1. Histoire de Théodoric, par, M. le marquis du Roure, t. II, p. 209.