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dans plusieurs villes d’Italie. Cette coutume venait-elle de l’Orient, ou, ce qui est plus vraisemblable, tenait-elle à l’organisation des corps de métiers, qui eux-mêmes remontaient peut-être aux corporations que les Romains appelaient collegia.

L’aspect du Caire est très pittoresque, il y a beaucoup plus d’architecture et d’art qu’à Constantinople. Un grand nombre de maisons sont bâties en pierre au lieu de l’être en bois. A chaque coin de rue, on trouve une porte dans le goût arabe, une élégante fontaine, un minaret, en un mot l’original d’une charmante vignette. Ce qui est surtout ravissant, ce sont les moucharabié, espèce de balcons garnis d’un treillage de bois travaillé dont l’élégance et la coquetterie attirent les regards et les étonnent toujours.

Dans l’enchantement où vous jettent ces merveilles, on est tenté de s’écrier avec un des personnages des Mille et une Nuits : « Qui n’a pas vu le Caire n’a rien vu ; son sol est d’or, son ciel est un prodige, ses femmes sont comme les vierges aux yeux noirs, qui habitent le paradis (on ne peut juger que des yeux noirs qu’on aperçoit à travers les trous du voile), et comment en serait-il autrement, puisque le Caire est la capitale du monde ! »

De tels souvenirs reviennent naturellement ici, car, en parcourant les rues de cette ville, on croit relire les Mille et une Nuits, ces contes charmans que Galland a rendus populaires en France, et qui, grace à la naïveté de sa traduction, du reste assez incomplète, sont devenus, pour ainsi dire, une portion de notre littérature, comme les vies de Plutarque, grace à la version du bonhomme Amyot. Les deux traducteurs ont passablement changé le caractère de leur original. C’est ce que j’ai eu occasion d’établir dans cette Revue pour Amyot[1] ; c’est ce que M. Lane, qui a donné la première version exacte des Mille et une Nuits, dit un peu sévèrement peut-être de l’honnête Galland. Du reste, M. Lane, qui connaît la vie arabe et la vie du Caire mieux que personne, déclare que ce sont surtout les mœurs de cette ville qui sont représentées dans les Mille et une Nuits. Il a publié une édition de ces contes illustrée par des vignettes, dont plusieurs reproduisaient très fidèlement un costume, un groupe, un coin de rue, tels qu’on en rencontre à chaque pas en se promenant ici. On a beaucoup discuté sur l’origine des Mille et une Nuits ; plusieurs savans voulaient qu’elles fussent indiennes et persanes. Quelques-uns des élémens de ce recueil se retrouvent en effet dans la littérature sanscrite. L’histoire de Sindbad le marin est persane, sauf une des aventures qui paraît avoir pour origine l’épisode de Polyphème dans l’Odyssée. Cependant M. Lane pense que les principaux contes dont se compose le recueil des Mille et une Nuits, que l’on récitait

  1. Voyez la livraison du 1er juin 1841.