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avait cessé d’être navigable, fut repris par les Ptolémées et ne fut pas abandonné avant la fin du IIe siècle de l’ère chrétienne. Les musulmans rétablirent cette voie de communication entre l’Égypte et l’Arabie, qui ne fut entièrement abandonnée qu’au VIIIe siècle de l’hégire[1]. À ces différentes époques, ce fut toujours par l’intermédiaire du Nil que l’on rattacha la mer Rouge à la Méditerranée. Jamais ne fut tentée jusqu’ici la communication directe à travers l’isthme de Suez ; c’est qu’il s’agissait, pour ceux qui creusèrent le canal depuis Néchos jusqu’aux sultans du Caire, de lier l’Asie à l’Égypte et non à l’Europe. Pour le but qu’on se proposait, rien ne convenait mieux qu’un canal venant à travers le Delta rejoindre le Nil aux environs de Memphis ou du Caire. Aujourd’hui la jonction des deux mers n’étant plus seulement une entreprise égyptienne, mais pouvant être conçue dans l’intérêt commun de tous les peuples méditerranéens, ce qui s’offre naturellement, c’est la voie directe, c’est la coupure de l’isthme. Ce plan, qui avait été tracé à première vue par les ingénieurs français de l’expédition d’Égypte, a été repris d’une manière plus complète par M. Linant, et selon lui n’est plus exposé à aucune objection sérieuse.

La différence de niveau dans les deux mers, dont on a fait quelquefois une objection triomphante, n’est point un obstacle. M. Linant m’a dit de quelle quantité le niveau de la Méditerranée pourrait être élevé en cent ans par le canal, et cette quantité est extrêmement petite. La différence de hauteur entre le point de départ et le point d’arrivée, qui est d’environ trente-trois pieds, au lieu d’être un inconvénient, est un avantage ; elle permettra de produire un courant qui entraînera les matières obstruantes. Quant aux craintes d’inondation, elle ne sont pas mieux fondées, car, toujours d’après M. Linant, l’eau qui s’écoulera par le canal ne sera que la dix-neuvième partie de l’eau du Nil à l’époque où le niveau du fleuve est le moins élevé.

Maintenant que Riquet a réuni par le canal de Languedoc l’Océan et la Méditerranée, Bernadotte, par le canal de Gotha, la mer du Nord et la Baltique, maintenant que la communication du Rhin avec le Danube, projetée par Charlemagne, a été accomplie par le roi de Bavière, il est temps, ce semble, de percer l’isthme de Suez et l’isthme de Panama. De ces deux grandes opérations réservées à notre siècle, la première paraissait appartenir à Méhémet-Ali, mais il semble y avoir renoncé. Ce qui empêche et empêchera le canal de s’exécuter, c’est l’opposition du gouvernement anglais.

Le canal ouvrirait les mers de l’Inde à toutes les nations de l’Europe. Or, plusieurs de ces nations, les Grecs, par exemple, pourraient, grace à l’habileté et à l’économie qui distinguent leurs marins, faire à l’Angleterre[2]

  1. En 720. Weil, Geschichte der Kalifen, 119.
  2. Omar, pour une autre raison, s’opposa, selon une tradition arabe, au percement de l’isthme : il craignait que les Grecs ne vinssent attaquer la Mecque et troubler le pèlerinage. – Weil, Geschichte der Kalifen, 123.