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qui ne nous résistèrent que trop. Il est amusant de voir comment nos généraux républicains sont accoutrés par ne imagination orientale. Leurs noms sont accompagnés d’épithètes homériques. Le général Duranteau, qui était chauve, est appelé le lion à la tête noire sans crinière ; les cavaliers de Kléber sont semblables aux démons de l’enfer ou aux diables de notre seigneur Salomon. Quant à Bonaparte, voici comment en parle Nakoula-el-Turk, c’est le nom de l’historien : « Cet illustre guerrier, l’un des grands de la république française, était petit de taille, grêle de corps et jaune de couleur. Il avait le bras droit plus long que le gauche, était âgé de vingt-huit ans, rempli de sagesse, et dans une position heureuse et, opulente. On dit même qu’il possédait l’art de deviner d’après les astres. Beaucoup d’Égyptiens le regardaient comme le Mahadi[1], et ses habits à l’européenne étaient le seul obstacle à ce qu’ils ajoutassent foi à ses paroles. S’il s’était montré à leurs yeux avec le vêtement nommé feredjé, tout le peuple l’aurait suivi. »

On peut douter de cette dernière assertion. La singerie des mœurs musulmanes ne réussit pas à Abdallah Menou. Bonaparte n’a été que trop loin dans ces complaisances, qui, sans tromper les musulmans, nous dégradaient à leurs yeux, s’il a dit aux oulémas du Caire, comme l’affirme, je crois à tort, le chroniqueur oriental : « Certes je hais les chrétiens ; j’ai détruit leur religion, renversé leurs autels, tué leurs prêtres, mis en pièces leur croix, renié leur foi. Je vous ai souvent dit et répété que j’étais musulman, que je croyais à l’unité de Dieu, que j’honorais le prophète Mahomet. Je l’aime parce qu’il était un brave comme moi et que son apparition sur la terre a eu lieu comme la mienne. Je l’emporte sur lui. » Même sans cette fin, qui gâtait tout, le reste n’aurait pas réussi et ne méritait pas de réussir.

Un passage de cette histoire peut faire juger combien les habitans du Caire comprenaient peu les spectacles que nous étalions à leurs yeux. Notre Syrien, décrivant la fête célébrée en mémoire de la fondation de la république, dit que les Français « fabriquèrent une longue colonne toute dorée et y peignirent le portrait de leur sultan et de sa femme, qu’ils avaient tués dans Paris. » Aucune relation française ne fait, je crois, mention de ces portraits de Louis XVI et de Marie-Antoinette servant d’ornement à une fête républicaine. Les événemens survenus en France après le retour de Bonaparte ont aussi pris une couleur un peu orientale dans le récit du Syrien. Après le fameux discours adressé au directoire par Bonaparte, à son retour d’Égypte, dont la substance est donnée assez fidèlement, on lit ce qui suit : « Un des chefs de la république

  1. C’est le dernier iman alide, qui doit reparaître à la fin des temps, le messie attendu par les sectateurs d’Ali.