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quelquefois leurs formes abruptes, inégales et raboteuses. On comprend, en effet, que l’effort du glacier porte principalement sur le côté tourné vers le cirque d’où il descend, de même que les piles d’un pont sont plus fortement endommagées en amont qu’en aval par les glaçons que le fleuve charrie pendant l’hiver. Vu de loin, un groupe de rochers ainsi arrondis rappelle l’aspect d’un troupeau de moutons ; de là le nom de roches moutonnées que de Saussure leur a donné, et qui leur est resté.


III. – MORAINES ET BLOCS ERRATIQUES DES GLACIERS ACTUELS

Il est un autre ordre de phénomènes qui jouent un grand rôle dans l’histoire des glaciers actuels et de ceux qui couvraient autrefois la Suisse : je veux parler des fragmens de roche de toute grosseur et de toute nature que le glacier transporte avec lui. Les Alpes, leur aspect nous le dit, sont d’immenses ruines. Tout conspire à leur destruction, tous les élémens semblent conjurés pour abaisser leurs cimes orgueilleuses. Les masses de neige qui pèsent sur elles pendant l’hiver, la pluie qui s’infiltre entre leurs couches pendant l’été, l’action subite des eaux torrentielles, celle plus lente, mais plus puissante encore, des affinités chimiques, dégradent, désagrègent et décomposent les roches les plus dures. Leurs débris tombent des sommets dans les cirques occupés par les glaciers, sous forme d’éboulemens considérables accompagnés d’un bruit effrayant et de grands nuages de poussière. Même au cœur de l’été, j’ai vu ces avalanches de pierre se précipiter du haut des cimes du Schreckhorn, et former sur la neige immaculée une longue traînée noire composée de blocs énormes et d’un nombre immense de fragmens plus petits. Au printemps, une fonte rapide des neiges de l’hiver engendre souvent des torrens accidentels d’une violence extrême. Si la fusion est lente, l’eau s’insinue dans les moindres fissures des rochers, s’y congèle et fend les masses les plus réfractaires. Les blocs détachés des montagnes ont quelquefois des dimensions gigantesques ; on en trouve dont la longueur atteint 20 mètres, et ceux qui mesurent 10 mètres dans tous les sens ne sont pas rares dans les Alpes.

Si le glacier était immobile, ces débris s’y entasseraient sans aucun ordre ; mais la progression amène, dans la distribution de ces matériaux, un certain arrangement et même une certaine régularité fort remarquables. Les blocs se disposent sur le glacier en longues traînées parallèles à ses rives, ou s’accumulent à l’extrémité sous la forme de grandes digues transversales. Les unes et les autres ont été désignées sous le nom de moraines.

Voici quel est le mécanisme de la formation des moraines.

Les débris des montagnes environnantes tombant sur les bords du