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s’est passé en même temps dans le salon de M. Guizot et dans celui de M. le marquis de Normanby. On savait depuis quelque temps qu’un bal devait avoir lieu à l’ambassade d’Angleterre. Il y a des circonstances où les choses les plus futiles prennent de la gravité, et où il est habile de les éviter, car elles deviennent autant d’écueils. M. le marquis de Normanby inviterait-il à son bal M. Guizot ? C’est ce qu’on se demandait avec curiosité ; à coup sûr, on ne pouvait prévoir la singulière façon dont les choses se passeraient du côté de l’ambassade. Si l’invitation adressée à M. le ministre des affaires étrangères était le résultat d’une méprise, c’était déjà fâcheux ; mais que dire de la publicité donnée à cette circonstance dans les colonnes du Galignani’s Messenger. C’est contre de pareils procédés qu’ont voulu protester les collègues de M. Guizot et les membres de la majorité dans les chambres ; aussi y eut-il une affluence extraordinaire à l’hôtel des affaires étrangères dans la soirée du 19, au moment même où M. le marquis de Normanby donnait son bal. Il n’y avait donc à l’ambassade d’Angleterre ni ministres du roi ni membres de la majorité ; en revanche, on y voyait d’éminens représentans de l’opposition. On assure que, craignant les vides que devait faire dans ses salons l’absence de beaucoup de personnes, M. l’ambassadeur d’Angleterre avait, la veille et l’avant-veille, lancé de nombreuses invitations dans un monde dont jusqu’alors il ne s’était pas rapproché. C’est ainsi qu’on expliquait la présence d’une assez notable fraction de la société légitimiste. Il est juste cependant de reconnaître que ces invitations si brusquement expédiées pour peupler les salons de l’ambassade ont rencontré quelques refus de bon goût.

Le bal de M. le marquis de Normanby a été ainsi pendant quelques jours un événement politique. Le différend entre l’Angleterre et la France s’est trouvé réduit à de bien petites proportions, et l’on voit que nous sommes loin des questions de paix et de guerre. Il est arrivé que lord Normanby, qui croyait avoir à se plaindre des paroles prononcées à la tribune par M. le ministre des affaires étrangères, a semblé prendre à son tour l’initiative de procédés peu courtois, dont M. Guizot aussi bien que ses collègues, et avec eux tous les amis politiques du cabinet, ont pu se sentir blessés. Ne serait-il pas temps que toutes ces pointilleries eussent un terme ? Lord Palmerston a, dit-on, laissé lord Normanby juge et maître absolu de sa conduite : l’ambassadeur peut à sa convenance rester à Paris ou prendre un congé. M. le marquis de Normanby ne paraît pas trouver dans tout ce qui s’est passé des motifs assez sérieux pour nécessiter de sa part en ce moment une absence : loin de nous en plaindre, nous nous en féliciterons. En n’interrompant pas aujourd’hui son séjour parmi nous, M. l’ambassadeur d’Angleterre atténue singulièrement la gravité de toutes ces petites querelles. D’ailleurs, chaque jour qui s’écoule en emporte quelque chose. D’un autre côté, n’y a-t-il pas dans les hautes régions de la diplomatie des intermédiaires qui peuvent travailler à un rapprochement désirable ? Lord Normanby et M. Guizot ne peuvent-ils se rencontrer sur un terrain neutre ? Ce premier pas ne serait-il pas déjà fait ? Quoi qu’il en soit, laissons là ces misères, et gardons-nous, en en parlant trop au long, de les envenimer.

Nous avons bien assez des difficultés réelles qui compliquent la politique extérieure. Aujourd’hui comme au XVIIe siècle, l’Europe a les yeux fixés sur la succession d’Espagne. L’Europe a toujours vu avec dépit la force, la sécurité que donnait à la France un Bourbon assis sur le trône de Charles II. Quand Ferdi-VII,