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d’un même esprit : le siècle naît, il est jeune, il grandit et il règne. Sa forte adolescence profite des troubles de la fronde, des inspirations espagnoles, et produit le Cid, Horace, Polyeucte. — La génération suivante amène Pascal, Molière, Bossuet ; une autre, peu de temps après, Racine, La Fontaine, Boileau et Fénelon. — N’admirez-vous pas aussi comme le grand concert du XVIIIe siècle monte et s’accroît avec une prodigieuse harmonie ? D’abord ce sont les railleries insouciantes, les hardiesses légères de Voltaire dans sa première période ; puis arrive Montesquieu, puis Buffon, Diderot, d’Alembert, toute l’Encyclopédie, c’est-à-dire la puissance et l’audace ; et, quand tout a été osé, voici Rousseau qui vient donner à ce siècle ce qui lui manquait, le spiritualisme, l’élan religieux, l’amour de la nature : il suscite une génération enthousiaste qui applaudira Mirabeau. Depuis les Lettres sur les Anglais jusqu’en 1789, et malgré toutes les frivoles distractions de cette société mondaine, le siècle s’avance avec une suite, une vigueur, un accroissement irrésistible. Chez nous, ce développement est indiqué par l’idéal entrevu au début de l’époque actuelle. Nous n’avons à recommencer ni la royale littérature de l’ancienne monarchie, ni les victorieux assauts du dernier siècle. Enfans d’un monde régénéré, nous devons donner à la démocratie l’élévation qui lui manquerait bientôt, si les arts ne balançaient l’influence de l’industrie et de la politique. Embellir et élever la société qui se forme, maintenir l’éternel idéal, perpétuer la grandeur de la France et sa supériorité intellectuelle, voilà le but sacré que doit poursuivre la littérature du XIXe siècle. Les esprits infatués d’eux-mêmes et insoucians des idées, les écrivains qui abaissent les lettres devant l’industrie, quels que soient leurs noms, trahissent la France et compromettent la plus belle des causes. Tous ceux, au contraire, qui se souviendront du programme annoncé au commencement de ce siècle, qui le reprendront avec force et affermiront en leurs ames l’amour de l’art sérieux, ceux-là seront vainqueurs ; ils auront rempli une mission que la patrie n’oubliera pas. C’est pour cela que nous avons dénoncé résolûment les vices qui nous déciment ; c’est pour cela aussi que nous avons rappelé à leur poste les écrivains d’élite et que nous nous adressons aux générations qui s’approchent. L’armée se ralliera, plus forte, plus sûre d’elle-même ; la dignité de l’esprit sera sauvée, et la société nouvelle, triomphant de l’industrie et des influences vulgaires, ne sera pas inférieure aux sociétés qu’elle remplace.


SAINT-RENE TAILLANDIER.