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avec une élégance, une délicatesse, qui n’ont jamais été surpassées. Les querelles de l’empire et de la papauté, des Guelfes et des Gibelins, occupent tout au plus l’esprit des hommes studieux ; l’amour de Pétrarque pour Laure, les sonnets et les canzoni, où toutes les émotions, toutes les souffrances de cet amour sont racontées, gardent une éternelle jeunesse. La durée, la constance, la pureté de cette passion, ont rencontré beaucoup d’incrédules ; mais depuis les recherches ingénieuses de l’abbé de Sade, depuis les travaux patiens de Tiraboschi et de Ginguené, le doute n’est plus permis. C’est dans les œuvres latines du poète, dans ses lettres et surtout dans ses dialogues avec saint Augustin, qu’on trouve les éclaircissemens les plus complets, les plus décisifs, sur la nature et la durée de son amour. Pétrarque était né dans la quatrième année du XIVe siècle, trente-neuf ans après l’auteur de la Divine Comédie. Laure de Noves, qu’il devait immortaliser dans ses chants, naissait quatre ans plus tard. Quand Pétrarque vit Laure pour la première fois, en 1327, elle était marrée depuis trois ans à Hugues de Sade ; elle mourut en 1348, emportée par la peste qui décimait une partie de l’Europe, et, pendant plus de vingt ans, l’amour qu’elle avait inspiré ne se démentit pas un seul jour, ne perdit rien de son ardeur. Le cœur et la pensée de Pétrarque ne cessèrent pas un seul jour d’appartenir tout entiers à Laure de Noves. Cependant, pour réduire cette constance à des proportions humaines, nous devons dire que les sens de Pétrarque ne furent pas aussi fidèles que son cœur et sa pensée. En 1337, après dix ans d’une attente inutile, désespérant de fléchir celle qu’il aimait, il jeta les yeux sur une femme dont le nom est demeuré inconnu, dont il n’a jamais parlé ni dans ses œuvres italiennes ni dans ses œuvres latines, et en eut deux enfans : un fils, qui mourut avant lui, et une fille, mariée en Lombardie, qui lui survécut. Toutefois, malgré cet entraînement passager, qui s’explique très bien par l’âge du poète, car il n’avait alors que trente-trois ans, la passion de Pétrarque pour Laure se réveilla bientôt plus ardente, plus absolue que jamais, et la mort même ne l’éteignit pas : l’immortel désir devint un immortel regret.

Le langage mystique dont Pétrarque s’est servi dans la plupart de ses sonnets, en parlant de la femme qui régnait dans son cœur, a fait croire que son amour avait toujours été dégagé de toute pensée sensuelle ; c’est une erreur facile à réfuter. La lecture attentive de ses œuvres latines et même celle de ses œuvres italiennes montre clairement que l’amant de Laure tenait à l’humanité aussi bien que l’amant d’Henriette ; et, s’il ne s’explique pas avec la franchise de Clitandre, au moins faut-il reconnaître qu’il n’habite pas toujours la région des nuages. Je sais que l’opinion contraire est généralement accréditée ; mais cette opinion ne soutient pas l’examen. Dans les sonnets, dans les canzoni, dans