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toute la franchise qu’on peut souhaiter. Quant à ceux où l’esprit seul domine, où des pensées souvent ingénieuses, mais presque toujours étrangères à la passion, sont combinées avec patience, présentées avec adresse, j’avouerai sans hésiter, malgré l’heureux choix de mots qui les distingue, qu’ils offriraient peu d’intérêt, si le nom de Pétrarque ne les recommandait à l’attention. L’élégance et la grace des images méritent d’être étudiées ; mais cette lecture ne dit rien au cœur, et je conçois très bien qu’elle rebute ceux qui, n’ayant pas une connaissance profonde de la langue italienne, sont obligés de méditer sur chaque ligne avant de deviner ce que l’auteur a voulu dire. Quand Pétrarque se compare à un cygne parce que ses cheveux blanchissent, quand il décompose le nom de Laure pour y trouver la louange, le respect et le silence, ou bien quand, à l’aide d’une apostrophe placée entre la première et la seconde lettre, il voit dans ce nom sacré l’air même qu’il respire, assurément tous ces enfantillages ne peuvent donner à personne un plaisir bien vif ; mais les sonnets exclusivement ingénieux, dont la seule valeur repose sur l’arrangement des mots et le choix des images, forment à peine la moitié de ceux où Pétrarque a parlé de son amour. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que l’amant de Laure a contribué aussi puissamment que l’auteur de la Divine Comédie à la formation de la langue italienne ; il est même avéré pour les philologues que le style du Canzoniere est généralement plus pur, plus châtié, plus fidèle aux origines latines, que le style de la Divine Comédie. Il ne faut donc pas s’étonner si Pétrarque, écrivant sur un thème unique plusieurs centaines de sonnets, s’est quelquefois laissé aller au plaisir puéril d’arranger des mots, d’assortir des images. Quand on poursuit courageusement la lecture du Canzoniere, on ne tarde pas à s’apercevoir que la passion y joue un rôle très important ; mais pour trouver les pages où le cœur parle seul, où les sentimens les plus délicats, les plus vrais, les vœux les plus ardens, sont exprimés avec franchise, il faut se résigner à lire sans impatience plus d’une page remplie de purs jeux d’esprit. La plupart de ceux qui parlent de Pétrarque et le condamnent magistralement comme un poète constamment maniéré n’ont pas lu cinq cents vers du Canzoniere, c’est-à-dire ne connaissent pas même la huitième partie des sonnets. Un jugement prononcé avec tant de légèreté ne mérite pas d’être discuté.

Le poète a su éviter la monotonie ; en racontant ses joies, ses espérances, ses regrets, il a trouvé moyen d’intéresser, d’émouvoir, de mettre dans la peinture d’un sentiment unique une variété que le sujet semblait exclure. Il bénit le jour, l’heure et le lieu où il a vu Laure pour la première fois. Il se rappelle avec ivresse le sentier fortuné où elle a daigné lui montrer un visage moins sévère, où elle lui a souri. Cette passion si souvent mystique dans son langage ne s’interdit pourtant