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qui ont récemment visité la Grande-Bretagne. Par elle-même, l’Angleterre est assurément une pièce fort connue ; nous savons tous par cœur les péripéties de ses grandeurs et de ses misères. Mille touristes européens, depuis Voltaire jusqu’au docteur Carus[1], nous ont conduits avec eux à ce drame shakespearien, tour à tour sublime et bouffon. Le pays de l’excentricité est presque devenu un lieu commun, qu’il est possible pourtant de rajeunir. Il ne faut, pour cela, que renouveler le parterre, observer, ainsi qu’il nous a été donné de le faire, l’impression que ressentent les enfans d’une société semi-barbare transportés au sein d’une civilisation aussi raffinée. Cette étude n’est même pas sans quelque utilité. Des préjugés divers s’usent par le frottement, et le bon sens inculte des Hindous peut servir à corriger les ridicules polis des Anglais.

A vrai dire, ce que les Orientaux voient en Angleterre, ce n’est pas l’Angleterre elle-même, c’est l’Europe. Les traits distinctifs qui séparent la Grande-Bretagne de la France, par exemple, leur échappent presque toujours. Ils ressemblent à ces enfans pour qui il n’y a ni marronniers ni tilleuls, mais seulement des arbres. En Asie, tous les Européens sont des Francs ; en Angleterre, l’Oriental ne voit guère que des Européens. On doit reconnaître cependant que, de tous les états de l’Occident, l’Angleterre est celui qui peut le mieux lui enseigner l’Europe. Elle grossit, elle met en relief tout ce qu’il peut en admirer et en comprendre. Elle excelle dans la partie du génie européen qui peut émerveiller des imaginations barbares ; elle possède l’industrie dans toute sa puissance, la richesse dans toutes ses fabuleuses grandeurs. L’Allemagne règne dans les domaines solitaires de la pensée et dans les arides sentiers de l’érudition, la France a le privilège d’imposer au monde civilisé ses opinions et ses arts ; mais ces hautes sphères de l’intelligence exigent une initiation préalable. Qu’est-ce qu’un Hindou ou un Persan pourrait comprendre aux théories de nos savans, aux créations de nos artistes, à l’éloquence de nos écrivains ? Il leur faut une puissance matérielle et visible ; ils aiment les tours de force de la civilisation. S’ils admirent la science, ce n’est pas lorsqu’avec les calculs du génie elle crée une planète nouvelle au-delà des mondes connus ; c’est quand, par ses applications, elle subjugue la nature indocile et asservit les élémens à nos lois. Ils feraient volontiers comme ces plébéiens d’Horace qui, au milieu d’une tragédie, appelaient à grands cris un ours ou des athlètes. Ce n’est pas un beau poème qu’ils demandent au théâtre de l’Europe, c’est quelque chose comme les exploits des Carter et des Van-Amburgh.

Trois nuances bien distinctes de la société orientale sont représentées par les singuliers touristes qu’on nous permettra de ne point séparer

  1. The king of Saxony’s Journey through England and Scotland in the year 1844, by Dr C. G. Carus, physician to his majesty, 1846.