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il s’agit pour eux moins de visiter l’Europe en touristes, que de lui demander des enseignemens. Toutefois, en étudiant l’anglais et les mathématiques chez le révérend M. Hopkins, il leur arrivera de jeter un coup d’œil dans la rue, à travers les fenêtres du tranquille presbytère d’Egham ; ou bien, en courant de Londres à Southampton, à Portsmouth, à Devontport, à Bristol, ils saisiront à la hâte quelques remarques. Il est vrai que, par une modestie très peu européenne, les deux parsis ne se mettront que rarement en scène dans leur ouvrage ; ils diront plutôt ce qu’ils ont vu que ce qu’ils ont senti, et l’on sera souvent obligé de deviner l’homme sous le récit. Les deux cousins ne se distinguent point en effet l’un de l’autre. Nous ne savons si c’est Noroji ou Merouanji qui a tenu la plume, et il semble qu’ils aient mis tous deux la main à l’œuvre, comme pour construire la charpente d’un navire ou d’un mélodrame. Nous n’avons pas même ici, pour donner une idée de la personne des auteurs, la faible ressource d’un portrait. C’est celui de Jamsetji, l’architecte en chef, leur père et leur oncle, qu’ils ont placé pieusement au frontispice. Nous dirons cependant un mot de cette image : soit ressemblance de famille, soit influence d’éducation, elle indique assez bien le caractère de l’ouvrage. Jamsetji y paraît un homme d’un âge mûr, aux traits prononcés et massifs, qui s’enfonce dans son fauteuil, les doigts croisés sur l’abdomen, et semble affaissé dans une douce quiétude. Son nez aquilin, ses yeux bien fendus, mais chargés d’une épaisse paupière ; sa tête sans cou, qui naît immédiatement de sa poitrine, son teint d’un brun foncé, que fait ressortir la blancheur de sa robe, semblent indiquer un de ces hommes d’une seule pièce, qui veulent fortement, mais ne veulent qu’une chose, qui tracent d’un pas sûr, leur sillon dans la vie, sans regarder le sillon parallèle creusé par leur voisin. Travailleurs infatigables, savans obstinés, ces hommes poursuivraient, comme Archimède, la solution de leur problème au milieu de la prise de Syracuse. Le monde a beau s’ébranler sur leur tête, il ne troublera leur sécurité qu’en inventant la vapeur, s’ils sont constructeurs en chef à l’arsenal de Bombay.

Le dernier de ces touristes envoyés par l’Orient vers l’Europe est un jeune et beau Cachemirien, fort bien reçu dans la haute société anglaise, et dont le portrait, peint par M. W. Allan, a eu un véritable succès de vogue à l’une des dernières expositions du British national Gallery. Mohan Lal est chevalier de l’ordre persan du Lion et du Soleil, ce qui ne l’empêche pas d’ajouter à son beau nom oriental, au lieu de la qualification honorifique de mirza[1], la désignation tout anglaise d’esquire. C’est que Mohan Lal n’est pas un réfugié persan qui vient implorer une

  1. Placé avant un nom propre, mirza veut dire lettré, savant ; après le nom, il signifie prince.