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Malik était pauvre ; il donna à Mohan Lal tout ce qu’il put lui donner : il lui apprit à nouer son turban avec une exquise élégance, « don précieux parmi les Asiatiques, dit M. Trevelyan, et qui peut exercer la plus grande influence sur la destinée de celui qui le possède. » Mohan Lal, portant donc sur sa tête toutes les espérances de sa fortune, vint en Angleterre il y a deux ans. Il vit aujourd’hui en gentleman dans une jolie maison de Manchester-Square, et, au milieu des loisirs dorés que lui a faits l’honorable compagnie[1], il nous raconte son infatigable odyssée, qui commence à Delhi et passe par Lahore, Caboul et Bokhara, pour arriver ou plutôt pour s’arrêter un instant à Londres, où l’auteur revient encore après avoir fait une promenade à Dresde et à Berlin.

Ainsi ces trois relations de voyage nous représentent en quelque sorte trois degrés dans le progrès des Asiatiques vers notre civilisation. Au premier sont les princes persans. Étrangers à la langue et par conséquent à l’esprit de l’Angleterre, ils n’en saisissent que les phénomènes extérieurs ; mais la singularité de leurs jugemens est compensée par la vivacité naïve de leurs impressions. Tout près de nous et presque dans nos rangs sont les architectes parsis, tranquilles bourgeois de Bombay, sujets fidèles de la compagnie des Indes. Ils comprennent et possèdent la science de l’Europe, et ne sont séparés de nous que par la distance de la religion, des habitudes et des arts. Dans un rang intermédiaire, nous placerons le collégien de Delhi, vrai précurseur de ces jeunes races d’Asie que la Grande-Bretagne entraîne dans son immense orbite, moins savant et moins studieux que les voyageurs de Bombay, mais déjà presque Anglais par la langue et par les relations sociales ; enfin, pour tout dire en un mot, auteur avec récidive[2] et menacé de devenir un homme de lettres.

Écoutons maintenant les confidences que vont nous faire tour à tour les princes persans, les constructeurs parsis et le noble cachemirien. Sachons d’abord quelle impression a produite sur eux ce moment décisif où l’on quitte le rivage de la patrie pour se jeter dans un monde inconnu. « Tout est solennel, a dit Mme de Staël, dans un voyage dont l’Océan marque les premiers pas ! » Que sera-ce donc si l’on va chercher au-delà des mers une contrée dont la langue, la religion, les mœurs et la nature même n’ont aucun rapport avec celles du pays qui nous a vus naître ? Les Persans en général sont fort peu voyageurs. Ils entreprennent une fois dans leur vie le pèlerinage de la Mecque,

  1. Ses services dans l’Afghanistan ont été rémunérés, dit-on, par une pension annuelle de 1,000 livres sterling (25,000 francs).
  2. Mohan Lal vient de publier la vie de l’émir Dost-Mohammed-Khan, de Caboul, comprenant les succès et les désastres de l’armée anglaise dans l’Afghanistan. — Londres, chez W. Allen.