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l’ouragan perdit plus de la moitié de sa violence. — La pincée de poudre était sans doute trop petite pour opérer le miracle complet.

Laissons les passagers persans en proie à leurs craintes, et allons à Bombay assister au départ des jeunes constructeurs. Nous n’avons pas besoin de dire qu’il n’est plus question ici de ces terreurs de l’inexpérience : c’est le sentiment moral, c’est le chagrin de la séparation, ou plutôt de la privation, qui domine.


« On nous annonça que le Buckinghamshire allait mettre à la voile. À mesure que l’heure approchait, nous sentions notre cœur se serrer. L’idée de quitter nos maisons et l’île heureuse qui nous a donné le jour, le sacrifice qu’il nous fallait faire de tout le comfortable de la vie, la perspective de trois ans d’absence, loin de nos femmes, de nos parens, nous causaient une profonde tristesse… Le 29, au matin, nous dîmes adieu à nos familles et à nos amis ; bien des larmes coulèrent dans cette heure critique. Plusieurs vinrent à bord avec nous et y restèrent aussi long-temps qu’ils purent ; mais quelles paroles pourraient peindre notre douleur quand il fallut enfin nous séparer !… Tout le monde à bord était joyeux, excepté nous et quelques matelots indigènes ; tous songeaient au bonheur de revoir leur terre natale et les compagnons de leur enfance, et nous, nous quittions notre pays pour une terre étrangère, nous échangions toutes les aises de la vie pour les fatigues d’un long voyage sur mer ! Nos yeux restèrent tournés vers ce rivage bien-aimé que nous abandonnions, jusqu’à ce qu’il nous fût impossible de le distinguer. »


En vérité, Lucain n’a pas mieux dit dans le beau passage où il arrache Pompée à l’Italie qu’il ne doit plus revoir ; seulement le héros de la Pharsale est un peu moins préoccupé du comfortable. — Les voyageurs parsis eurent aussi leur tempête : le vent souffla avec fureur. Toute leur sollicitude se borna à mettre un vêtement plus chaud. Ils éprouvèrent pourtant alors une véritable contrariété : il devint fort difficile de boire le thé. « Ce fat la tâche la plus laborieuse, » nous disent-ils, et ils nous apprennent de quelle façon ingénieuse ils s’en tirèrent « Nous fûmes obligés de tenir la tasse dans nos mains, de verser le liquide et de le boire avec précipitation. » Évidemment voilà des parsis qui sont déjà fort anglais !

Le 19 juillet 1844, Mohan Lal s’embarquait pour l’Europe. Élève des Anglais de Delhi, interprète et secrétaire persan de l’infortuné sir Alexander Burnes, assassiné à Caboul en 1841, il partait à bord de la Semiramis, chargé de certificats et de lettres de recommandation. « La vaste étendue de la mer, qui se perdait, nous dit-il, dans un lointain sans bornes, était un spectacle nouveau, étrange et merveilleux pour moi. C’était la première fois que je voyais l’Océan et que je mettais le pied sur un navire à vapeur. » Son admiration ne fut mêlée d’aucun effroi ; en vain les vents contraires, qui règnent ordinairement pendant ce mois, soufflèrent avec violence. « Les vagues s’élevaient si haut,