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historiens éminens, MM. Thiers et Mignet ? Le système de la nécessité historique n’a jamais eu de partisan plus extrême et plus stoïque que l’auteur des Girondins. Les yeux fixés sur les lois irrésistibles et les inflexibles volontés de la Providence, à laquelle il donne l’insensibilité de l’antique destin, M. de Lamartine oublie trop souvent les principes et les conditions de la vérité morale. Que de fois on peut le surprendre à ressentir plus d’enthousiasme pour la force que pour la liberté !

Toutefois, en dépit de ces entraînemens dont M. de Lamartine a eu plus ou moins conscience, l’Histoire des Girondins inspirera plutôt l’effroi que l’amour des révolutions. Il y a dans ce livre tant de scènes descriptives des excès de la fureur populaire et de la terreur de 93, qu’en vain celui qui les a tracées montre en perspective au lecteur le bonheur du genre humain ; il ne réussit qu’à réveiller dans les ames pour les violences de la démagogie une invincible horreur. Lorsque, dans les pages de M. de Lamartine, on a assisté au siège, à la prise de Lyon, aux vengeances exercées dans les murs de cette grande cité par les jacobins, par Albitte, par Collot d’Herbois et Fouché, à des exécutions qui durèrent quatre-vingt-dix jours, au supplice en masse appliqué tantôt à soixante-quatre jeunes gens, tantôt à deux cent neuf prisonniers ; lorsqu’on lit les proclamations et les lettres de ces proconsuls en démence qui s’écrient : Frappons comme le tonnerre, et que la république ne soit qu’un volcan ! on enveloppe dans la même exécration tous ces crimes et la cause au nom de laquelle ils ont été commis. Sous ce rapport, l’Histoire des Girondins est un livre contre-révolutionnaire, et nous pourrions la comparer à la coupe d’Atrée. C’est du sang… Il y a des momens où. M. de Lamartine lui-même, si grandes que soient les ressources de son imagination, est à bout d’expressions et d’images au niveau de ces horreurs ; dans un endroit, il parle d’Attila au sujet de Collot d’Herbois[1]. En vérité, c’est calomnier Attila.

Robespierre a été traité avec une singulière faveur par M. de Lamartine, qui en a fait un grand philosophe ; il a peint avec complaisance la simplicité de ses mœurs, l’intérieur de sa vie domestique, et n’a rien négligé pour rehausser sa physionomie et son caractère. Cependant le récit du 9 thermidor que trace M. de Lamartine dans son dernier volume est accablant pour Robespierre, car il le montre entièrement destitué du courage nécessaire au triomphe de ses idées et de ses désirs. Il y eut un moment où Robespierre comprit qu’il fallait arrêter la terreur, mais il n’osa pas. Il comprit encore que, pour sauver et constituer la démocratie, il devait saisir la dictature ; il n’osa pas. Enfin quand, vaincu à la convention, il trouvait le salut et le triomphe dans une insurrection populaire, il n’osa pas non plus en donner le signal et

  1. Tome VII, page 204.