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suivant laquelle il se dirige et une fin idéale où il se termine. Aristote était donc fidèle aux principes fondamentaux de sa métaphysique en établissant une barrière infranchissable entre son univers et son Dieu. Et de là, l’âme humaine condamnée à ne pas sortir de l’enceinte de la nature, comme Dieu est incapable d’y pénétrer ; en un mot, Dieu sans amour et l’âme humaine sans avenir.

Est-ce là l’esprit du christianisme, et n’en est-ce pas plutôt la radicale négation ? L’essence du christianisme, c’est d’établir entre l’homme et Dieu une alliance dont le nœud est l’amour. Les philosophes admirent avec raison la définition sublime que Dieu donne de soi-même dans l’ancien Testament : Je suis celui qui est ; ego sum qui sum. J’en connais une plus sublime encore, c’est celle du nouveau Testament : Je suis amour ; ego sum charitas. Toute la différence du mosaïsme et du christianisme est là ; le Dieu de l’Évangile aime les hommes ; il les aime à ce point qu’il veut s’incarner en eux. L’infini deviendra-t-il fini, le créateur créature ? Oui, l’amour accomplit ce mystère qui déconcerte la raison. Dieu veut être homme, non tel ou tel homme, mais tous les hommes en un. Il veut boire goutte à goutte le calice entier des douleurs humaines. Il veut mourir pour les hommes, non une fois, mais toujours. Ce sang mystique qui coule sans tarir sur l’autel des chrétiens, c’est l’amour qui le répand, c’est lui qui le renouvelle et le féconde. Voilà l’esprit du christianisme, voilà sa force, voilà sa grandeur ; c’est parce que la croix de bois est le symbole de l’amour, c’est parce qu’elle nous montre l’union de Dieu et de l’homme, consommée dans le sacrifice suprême, c’est pour cela qu’elle a conquis le monde.

Mais, avant d’être annoncé par les apôtres du Christ au genre humain, ce Dieu aimant et juste s’était révélé à la raison de quelques sages. Le Timée, le dixième livre des Lois, le Phédon, sont la préface de l’Évangile. Le Dieu de Platon n’est pas seulement une intelligence, mais un intarissable foyer d’amour. Son plus haut caractère, c’est d’être bon. Son nom le plus vrai est celui de père. S’il sort de son repos pour former l’univers, ce n’est point par un caprice de sa toute-puissance, ou par une nécessité de sa nature, c’est par une effusion de sa bonté. Quand il voit le monde s’agiter sous sa main, il frémit de joie. Image admirable, qui peut-être fera sourire de dédain plus d’une forte tête métaphysique, mais qui touchera le vrai philosophe, parce qu’elle fait descendre jusqu’au plus profond du cœur l’idée de l’être des êtres. C’est sans doute la lecture de ce passage du Timée qui faisait dire à saint Augustin : « J’ai eu deux maîtres, Platon et Jésus-Christ. Platon m’a fait connaître le vrai Dieu ; Jésus-Christ m’a montré la voie qui y mène. » Qu’ajouterais-je à ce mot, et comment mieux marquer l’union étroite du platonisme et de la religion chrétienne ?

Il devient de mode aujourd’hui de décrier la théodicée du Timée et