Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/1091

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour mieux nous faire connaître une époque où les idées cabalistiques ont joué un grand rôle.

Deux grandes qualités, nécessaires à tout historien de la philosophie, sont particulièrement essentielles à un historien du XVIe siècle : d’abord, un esprit assez libre, assez souple, assez pénétrant pour comprendre les tentatives les plus hardies et même les plus déréglées de l’esprit humain ; puis une critique assez ferme pour résister à la séduction des faux systèmes et pour les dominer en les expliquant. L’auteur de Jordano Bruno possède la première de ces qualités à un degré notable ; il n’est pas dépourvu de la seconde. M. Bartholmess est une intelligence ouverte, sympathique, bienveillante, je dirais volontiers aimable et même caressante ; mais en même temps il a des principes trop fermes pour manquer absolument de critique, pour rendre sa sympathie banale en la prodiguant, pour rester indifférent entre le bien et le mal, entre l’erreur et la vérité. Il est d’une école très compréhensive, mais très décidée, et inébranlablement attachée à la cause du spiritualisme. Cette impartialité sans faiblesse est le véritable esprit de l’histoire. Que M. Bartholmess s’en pénètre de plus en plus ; qu’il affermisse encore sa critique ; qu’il concentre de plus en plus son érudition qu’il lui donne en profondeur ce qu’elle a déjà en surface ; qu’il préfère une idée juste à une anecdote, un bon raisonnement à une citation, le mouvement aisé, la lumière égale d’une composition simple et forte au scintillement éblouissant d’une science de détail, aux mille épisodes, aux mille sentiers tortueux et quelquefois épineux où s’égare l’érudition ; en deux mots, que M. Bartholmess gouverne ses immenses lectures au lieu d’en être gouverné, et il a une belle place à prendre parmi les historiens de la philosophie.

Arrêtons-nous avec lui sur l’homme en qui le génie de la renaissance se produit avec le plus d’éclat. Giordano Bruno est généralement regardé aujourd’hui comme le grand métaphysicien du XVIe siècle. En Allemagne, depuis ces quarante dernières années, l’admiration qu’il a excitée s’est exaltée jusqu’à l’enthousiasme. Jacobi a donné le signal. C’est une des contradictions de cet esprit bizarre, à la fois sceptique et romanesque, négatif et sentimental, d’avoir choisi parmi les philosophes, pour l’objet de ses prédilections, deux panthéistes, Bruno et Spinoza. M. Schelling a rendu au philosophe napolitain l’hommage dont autrefois Platon honora Timée, en mettant dans sa bouche ses théories les plus hardies et les plus brillantes. Moins complaisant que M. Schelling pour le panthéisme exalté de Jordano Bruno, Hegel respecte en lui le précurseur de l’idéalisme. L’Allemagne a ses raisons pour tant célébrer Spinoza et Bruno ; en les glorifiant, c’est elle-même qu’elle glorifie, car elle salue en tous deux l’avènement d’une idée qu’elle s’honore d’avoir pour jamais acquise à la science, l’idée de l’universelle identité. Et c’est en effet Bruno qui, le premier, a jeté cette idée dans le monde