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bien, nous n’avons pas besoin de le dire. Ses écrits, justement populaires, sont restés dans le souvenir de ses nombreux lecteurs, et s’ils ne jouissent pas, à l’heure qu’il est, de la vogue acquise pour long-temps à des productions d’un ordre bien moins élevé, c’est sans doute à cause de l’inexorable sévérité du conteur. On n’y respirait pas à l’aise, on les quittait attristé, oppressé, malade, comme on sort d’un amphithéâtre d’anatomie. Nonobstant son incontestable habileté, l’écrivain n’avait pas ménagé assez de contrastes, assez de douces oppositions, à ses lugubres et sanglantes images. Sa cruauté fut punie par l’espèce d’effroi qu’il inspira. Son premier livre est de ceux qu’on n’oublie pas, mais qu’on n’aime pas. Il atteste la puissance, il n’éveille pas la sympathie.

Warren, après quelques années de silence, — le silence profite à ces esprits vigoureux, — publia dans un magazine son second ouvrage. Ce n’étaient plus de courts récits, isolés l’un de l’autre, et réunis seulement par la personnalité du narrateur imaginaire, mais un roman de longue haleine, ayant une portée sociale bien nettement définie, celle-là même que nous indiquions en commençant : tendance agressive, appel direct au pays, réquisitoire virulent contre toutes les corruptions que développe la constitution judiciaire de la Grande-Bretagne ; en un mot, la satire des gens de loi et de la loi même, satire d’autant plus inattendue qu’elle était l’œuvre d’un écrivain tory, d’un homme enrichi par les abus qu’il attaquait si vivement[1], et publiée dans un recueil qui sert d’organe au parti conservateur. Toutefois ne nous étonnons point trop de ce contraste, auquel, dans une sphère plus élevée, les inconséquences tant reprochées à sir Robert Peel peuvent servir de pendant et d’explication.

L’intrigue du roman n’est pas compliquée. D’habiles attorneys, rompus à toutes les subtilités de la chicane, entreprennent d’enlever un opulent héritage à une famille honorable. Pour cela, ils vont chercher au fond d’un magasin, où il végétait, un misérable jeune homme qu’ils présentent aux tribunaux comme le véritable ayant droit, le propriétaire légitime du beau domaine d’Yatton. Des titres généalogiques, dont seuls ils connaissent le néant, justifient cette prétention imprévue. Les Aubrey, — c’est le nom de la famille qu’ils veulent déposséder, — forcés à descendre dans l’arène judiciaire, y portent cette inexpérience, cette délicatesse, ces scrupules de loyauté qui font, dans ces sortes de combats, la faiblesse des honnêtes gens, la supériorité des fripons : les Aubrey

  1. Parlant de je ne sais quelle procédure abusive, Warren ajoute ces quelques mots que nous croyons devoir citer sur cet écrivain en l’absence d’autres indications biographiques : « On m’a du moins rapporté que les choses se passent ainsi, dans ce vieil ermitage entouré de verdure où j’écris les souvenirs d’un temps déjà loin de moi, de ce temps où j’étais mêlé activement aux tracas d’une profession qui, Dieu merci ! m’a fourni de bonne heure les moyens de la quitter. » Ten Thousand a Year, tome I, p. 287.