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de ce qu’ils accomplissent aujourd’hui. Les gens de l’ouest sont en ce genre les plus intrépides logiciens qu’on puisse voir, quand il s’agit de marcher en avant la carabine dans une main, la hache du pionnier dans l’autre, et de porter devant soi, de station en station, de vallée en vallée, le drapeau étoilé de l’Union. Avec la possession de l’Amérique du Nord, on est le suzerain de l’Amérique du Sud, quelque étendue qu’elle soit. Les Américains des États-Unis ont l’esprit de conquête par voie de colonisation au-delà de tout ce qui est imaginable.

Mais avec ces conquêtes que devient la constitution de 1789 ? Ce premier magistrat grave et calme comme la loi que rêvaient les Jefferson, les Madison, les Hamilton, sur le modèle de leur illustre chef, pour leur descendance à perpétuité, se change désormais en un conquérant à cheval, surveillant de son quartier-général les populations soumises. Cette armée, qui était de six mille hommes autrefois pour la défense des frontières d’un pays dix fois vaste comme la France, il faudra la porter à cent mille. Il y aura un énorme budget de la guerre. Les mœurs militaires s’enracineront. C’est de mauvais augure pour la liberté sans limites dont jouissent les citoyens américains. C’est un pronostic non moins fâcheux pour leur système financier, jusque-là si admirable d’économie.

Si l’esprit de conquête porte préjudice aux libertés de l’Amérique, ce ne sera, il faut le dire, qu’une revanche, car c’est contre la liberté que la campagne du Mexique a été entreprise. Cette guerre, qui n’avait aucun motif et pour laquelle on n’a pu trouver que des prétextes futiles, est née d’une pensée qu’on ne s’explique pas de la part d’un peuple libre. Il est impossible de se le dissimuler maintenant, après les aveux qui ont eu lieu dans le sénat : on s’est précipité, ou plutôt quelques hommes hardis sont parvenus à précipiter les forces de la nation sur les provinces mexicaines, malgré l’opposition de presque tous les personnages les plus renommés des différens partis, afin de fonder dans les terres chaudes des régions tropicales de nouveaux états à esclaves, qui fussent en mesure de contre-banlancer par leur richesse et par leur nombre les états libres du nord, qui se multiplient ou se développent avec une rapidité inouie. M. Calhoun l’a déclaré, dans un discours préparé, au sein du sénat de la fédération : les états libres menaçaient de mettre les états à esclaves dans une condition de minorité dont la perspective désespérait ceux-ci. Sur vingt-huit états, quatorze ont des esclaves, et par conséquent, dans celle des deux chambres du congrès où tous les états sont représentés indistinctement par deux membres, les états à esclaves sont de pair avec leurs rivaux ; mais, sur ces quatorze états, deux, le Delaware et le Maryland, méditent visiblement l’abolition de l’esclavage, et puis, du côté du nord, de nouveaux états libres sont déjà mûrs ; plusieurs autres vont naître parce que le flot des émigrans d’Europe s’unit avec le courant sortant sans cesse des anciens états du nord, pour couvrir de population les terres vierges de la contrée des grands lacs et du haut Mississipi. Et puis, dans le sein de la chambre des représentans, où chaque état envoie un nombre de députés proportionné à sa population, et dans le collége électoral qui nomme le président, où la balance est à peu près la même, les états sans esclaves ont déjà une imposante majorité. Les états à esclaves ont donc craint d’être trop débordés. Ils ont pensé que, si les états libres acquéraient trop de suprématie, l’institution de l’esclavage serait compromise. De là le plan d’envahissement des terres étrangères du côté du sud, d’après lequel on a débuté en s’appropriant le Texas, et qu’on poursuit