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De boue et de clameurs le harcelaient entre eux,
Puis du bâton fuyaient en riant la menace.

Tout à coup, s’avançant à grands pas sur la place,
Un homme s’est montré ; sous sa saie en lambeau,
Sous son poil noir, ses os semblent percer sa peau ;
Montant vers le palais, il va franchir la dalle
Où gronde le vieux pauvre, où sa lèpre s’étale ;
Mais Lazare, à l’aspect d’un nouveau mendiant
Plus jeune et plus hardi, s’irritait, lui criant :
« Retire-toi d’ici, misérable ! est-il juste
Qu’avec ces bras nerveux, encor vert et robuste,
Un pareil fainéant dérobe ici la part
Qu’on donnerait peut-être à l’infirme, au vieillard ? »

Et les pierres volaient avec les cris lancées
Sur le noir étranger ; et lui, de ses pensées
Distrait, parle, et, laissant à l’autre son erreur
« Quel mal ici te fais-je ? où tend cette fureur ?
Qu’ai-je dit ? ai-je ôté rien des mains de personne,
Ou t’aurais-je envié l’aumône qu’on te donne ?
Ce seuil, tu le sais bien, si dur aux supplians,
Ne peut-il pas tenir, hélas ! deux mendians ?
Tais-toi, renonce aux coups, à l’insulte farouche ;
Si je frappais, ce poing te briserait la bouche,
Et du festin j’aurais, pour moi seul, les débris. »

Mais, redoublant alors les pierres et les cris,
Le lépreux : « Écoutez ce bavard ; sur mon ame,
De même, au coin du feu, grogne une vieille femme !
Viens, et je fais pleuvoir tes dents sous ce bâton,
Et je veux te traiter comme le porc glouton
Surpris à dévorer les blés semés pour l’homme,
Et qu’avec son épieu le laboureur assomme. »

La foule du portique encombrait les degrés,
Passans, soldats, valets, par ces cris attirés ;
Et ceux-ci se penchaient au bord des balustrades,
Riaient, faisant de loin signe à leurs camarades.
Ils excitaient Lazare, et c’était un concert
De rire et de clameurs. Mais l’homme du désert
Darde un œil tout-puissant sous sa fauve crinière,