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Esclaves peu soumis s’ils doutaient de sa force ;
Enfin la volupté qui lui tend son amorce,
Ce fruit que sur sa lèvre un frais rameau suspend,
L’éclat fascinateur des doux yeux du serpent…
D’ailleurs, c’est le destin, son serment le décide :
Il jette en frémissant la parole homicide ;
Le bourreau déjà sort, armé du glaive. Ainsi
Ce que n’avaient osé le vieillard endurci
Et son courroux de fer aiguisé par l’injure,
Le meurtre s’accomplit, œuvre de la luxure
Et des philtres dont Ève, aux lèvres du démon,
Sous l’arbre de l’Éden, a sucé le poison.


V.


Le bourreau, se montrant sur le seuil de la salle,
Abaisse un large fer dégouttant sur la dalle,
Et tient, de l’autre main, le vase horrible à voir,
Où, parmi les caillots d’un sang épais et noir,
Le col rouge et fluant, une tête coupée
Vacille à chaque pas du sombre porte-épée ;
Il vient lent et stupide, il présente à l’enfant
L’affreux don accueilli d’un geste triomphant.
La vierge aux tresses d’or sur le disque se penche,
Dans les cheveux crépus enfonce une main blanche,
Lève, non sans effort, mais la paix sur le front,
Le poids lourd à son bras de la tête sans tronc,
Sourit en l’attirant, et sur ces traits livides
Promène des regards restés sereins et vides ;
Puis vers le lit royal, fière, se retournant,
Tend cette face aux yeux d’Hérode frissonnant.
Les nerfs vibrent toujours sous les chairs convulsives ;
Les orbites en feu jettent des lueurs vives ;
Dans les rides du front, jaune et de sang baigné,
Le courroux siège encore, et l’esprit indigné,
Du cratère béant de la bouche profonde,
Semble lancer encor l’anathème au vieux monde.


VICTOR DE LAPRADE.