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hommes utiles présente des enseignemens qu’il importe de recueillir, de nobles exemples qu’il y aurait injustice à ne pas mettre en lumière.

L’histoire d’une industrie, conçue d’après les idées que nous venons d’exposer, ne doit pas comprendre uniquement l’énumération de ses progrès divers ; examiner en même temps les branches de commerce que cette industrie est destiné à alimenter, décrire les procédés qu’elle emploie, faire connaître, parmi les savans et les fabricans eux-mêmes, les hommes qui ont mérité par quelque découverte importante de vivre dans la mémoire du pays, tel est le plan que l’historien d’une industrie quelconque est, selon nous, tenu de remplir ; telle est aussi la méthode que nous essaierons d’appliquer à l’une des branches les plus productives et les plus curieuses de la fabrication moderne : nous voulons parler de l’impression des tissus.

Il est constant que les peuples de l’antiquité connaissaient l’art d’imprimer les étoffes, et, d’après les auteurs anciens, l’origine de cet art paraît remonter aux époques les plus reculées : Hérodote cite, en effet, les habitans des bords de la mer Caspienne comme représentant sur les tissus des figures d’animaux avec des couleurs dont il vante la solidité ; plus tard, Strabon rapporte que, du temps d’Alexandre, les Indiens fabriquaient déjà des étoffes imprimées ; Pline l’ancien décrit également, en le qualifiant de merveilleux, un procédé qu’employaient les Égyptiens pour la peinture de leurs vêtemens. En comparant le passage de Pline aux descriptions que renferment des publications plus modernes, telles que les Lettres édifiantes du révérend père Cœurdoux, et une notice récente sur les impressions de tissus exécutées par les Malais, due à un naturaliste français, M. Diard, qui a long-temps habité les Indes orientales, on reconnaît que les procédés de fabrication des toiles peintes n’ont presque pas varié depuis l’antiquité. L’exposition même des produits rapportés par notre mission de Chine est venue prouver que les sujets du Céleste Empire n’entendaient exactement rien à la combinaison des couleurs et à la netteté des contours ; nous devons ajouter que la solidité du teint ne rachète pas dans ces produits la mauvaise exécution du dessin. Si donc il est avéré que l’industrie des indiennes eut, elle aussi, l’Orient pour berceau, il est juste de remarquer qu’elle n’y a fait, à proprement parler, aucun progrès depuis sa naissance.

C’est aux Portugais qu’est due, en Europe, la première apparition des toiles peintes, qu’ils avaient trouvées en Orient, lorsqu’ils y firent la conquête des Indes ; mais ils se bornèrent à faire connaître ces produits remarquables, et l’honneur d’avoir importé les procédés de la peinture sur étoffe doit revenir tout entier aux Hollandais, ces infatigables spéculateurs du XVIe siècle. Pendant près de cent ans, à la vérité, cette fabrication n’eut, en Hollande, qu’une très mince importance, et, par une conséquence inévitable, réalisa peu de perfectionnemens. Enfin la révocation de l’édit de Nantes (1685), cette mesure impolitique du grand roi, qui priva la France de cinq cent mille habitans, gens adonnés, pour la plupart, aux manufactures, suivant l’expression d’un contemporain, vint donner un essor remarquable à l’industrie des tissus peints. Une partie de cette population, aussi active qu’intelligente, que la nécessité de se créer des moyens d’existence sur le sol étranger[1] obligeait à un travail opiniâtre, alla chercher en

  1. Un grand nombre de ces familles protestantes que Louis XIV condamnait ainsi à l’exil ne rentrèrent jamais en France, et se fixèrent définitivement dans leur patrie adop tive. Ce fait explique pourquoi à l’exposition de l’industrie prussienne, en 1844, on remarquait beaucoup de noms français parmi ceux des plus habiles exposans. Ceci nous rappelle un mot attribué à Frédéric-le-Grand. L’ambassadeur de France s’informant de quel procédé agréable son gouvernement pouvait user à l’égard de la Prusse, Frédéric aurait répondu : « Faites encore une révocation de l’édit de Nantes. »