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III.

Le drame cependant revient, par le lyrisme, au sentiment de la nature extérieure. La poésie lyrique a donc quelque chose de commun avec le drame ? Oui, mais elle n’en est pas le germe comme elle le fut de la tragédie grecque. Elle est contenue dans le drame avec toutes les autres poésies. De même que nous avons vu chez les anciens la tragédie absorber la poésie épique et la poésie lyrique, le drame chez les modernes absorbe la tragédie et la comédie. Dans l’art, comme dans la nature, les formes les plus complètes et les plus complexes arrivent les dernières.

Il est trop évident que le drame diffère de la tragédie du XVIIe siècle du tout au tout ; nous ne le démontrerons pas. Il ne diffère pas moins de la tragédie grecque, malgré quelques apparentes analogies. S’il admet comme elle l’emploi du familier et du comique mêlé au noble et au sérieux, s’il admet aussi ce que les Grecs nommaient le merveilleux, et qu’il nomme le fantastique, la composition cependant en est tout autre, aussi bien que l’esprit.

La principale pensée qui remplit le drame, c’est la lutte entre l’ame et la chair. Aussi la mélancolie, rêveuse ou sombre, s’y rencontre-t-elle auprès de la fantaisie gracieuse ou bouffonne ; aussi la critique, alliance plus singulière, s’y trouve-t-elle mêlée à la poésie. C’est que la pensée grecque exprimait l’enfance de l’humanité ; la pensée du drame en exprime l’âge mûr. Comparez les Choéphores d’Eschyle et l’Hamlet de Shakespeare, malgré l’analogie des sujets, quelles différences profondes ! qu’il y a loin de Clytemnestre à Gertrude, et de cet Oreste, instrument d’une justice fatale, poussé rapidement par la main d’un dieu plutôt que par sa volonté propre, qui ne réfléchit pas, qui frappe, à cet Hamlet qui, dans une situation pareille, ayant aussi à venger son père assassiné par sa mère, s’analyse, doute et rêve, jusqu’à se laisser aller à une sorte de folie aussi réelle que simulée ! L’esprit moderne est un esprit critique qui, même en agissant, s’étudie, qui, même lorsqu’il est inspiré, décompose son inspiration, comme le prisme décompose la lumière. Par cet amour de l’analyse, il cherche quelquefois les types d’exception et les curiosités morales, tandis que la tragédie se contentait de développer les lieux communs intéressans et les vérités éternelles. Il cherche à mettre en lumière les nouveautés de la nature humaine et les côtés inexplorés ; il est plus varié, sinon plus profond. Par une plus longue expérience de la vie, ayant amassé un plus grand nombre d’élémens que la pensée antique, il a plus de richesse et peut-être moins d’harmonie. Tel est sommairement l’esprit du drame.

La composition aussi est tout autre. Au lieu d’être d’une extrême simplicité, elle est d’une complication extrême, et avec raison. Ce qui satisfaisait les Grecs ne nous satisferait plus aujourd’hui. La composition très simple de la tragédie grecque suffisait à l’intérêt ; la composition très compliquée du drame cherche autre chose, la curiosité. Il y a deux procédés dramatiques : l’un qui attache et satisfait l’esprit, l’autre qui le surprend et le pique. L’un expose l’action dans son ordre naturel ; il laisse aux caractères, une fois donnés, le soin de se développer d’eux-mêmes, suivant la raison ou la passion, et de faire naître, en se croisant, les situations les plus vraisemblables ; enfin il captive et contente