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longs services de M. Duprat comme soldat de la majorité, beaucoup de personnes à la chambre ne pensèrent pas que ces services eussent assez d’éclat pour motiver l’élévation à la vice-présidence, à une dignité parlementaire qui prend de plus en plus l’importance d’une candidature ministérielle. Puisqu’on parlait de réélire un des anciens vice-présidens, une fraction des conservateurs portait M. de Belleyme, et demandait à la majorité d’oublier ses griefs contre cet honorable magistrat pour la conduite qu’il avait tenue dans l’élection de son fils. Cette proposition eut peu de succès, et M. de Belleyme n’obtint au premier tour de scrutin que quarante-trois voix. Des suffrages se disséminèrent sur plusieurs membres de la majorité, qui votait sans ensemble et sans accord. L’habileté, cette fois, était du côté de l’opposition, qui n’avait qu’un seul candidat, et l’avait bien choisi. Elle donnait toutes ses voix à M. Léon de Maleville, dont on aime à la chambre le talent et l’aménité. Aussi il est arrivé qu’au scrutin de ballottage beaucoup de conservateurs ont concouru au triomphe d’un membre de l’opposition spirituel et d’humeur facile. Ce n’était pas tant de leur part un acte d’insurrection politique contre le cabinet qu’un mouvement de susceptibilité individuelle.

Toutefois cet incident au sujet de la vice-présidence donnait inévitablement plus de gravité aux débats sur la proposition de M. Duvergier de Hauranne. Les conservateurs qui venaient de se séparer du cabinet sur une question de personnes persévéreraient-ils dans cette dissidence sur une question de principes ? On rappelait que plusieurs membres de la majorité avaient voté pour la lecture de la motion de M. Duvergier ; ne voteraient-ils pas aussi pour la prise en considération ? Personne n’a été étonné d’entendre d’anciens conservateurs, M. de Golbéry, M. Liadières, repousser toute idée de réforme électorale. M. Liadières a fait rire la chambre en disant que les bornes avaient au moins l’utilité de servir parfois de garde-fous. Cependant la discussion continuait, sans qu’aucun des nouveaux conservateurs demandât la parole. Aussi M. Billault monta à la tribune tant pour les aiguillonner en les complimentant que pour signaler l’allure indécise et craintive que dans cette occasion avait, selon lui, le cabinet. Rarement M. Billault eut plus de verve et d’entrain. Toutefois il se trompait en représentant le ministère comme irrésolu. Le cabinet avait jugé la situation. Il avait mesuré la portée des démonstrations et des tendances des nouveaux conservateurs ; il savait qu’il n’y avait chez eux ni plan de campagne arrêté, ni prédilection pour une réforme électorale. Aussi n’a-t-il pas hésité à s’opposer avec fermeté à la prise en considération, qui n’était pas à ses yeux une mesure inoffensive, innocente, sans danger pour la majorité. M. le ministre de l’intérieur, avec la simplicité incisive de sa parole, a été droit au cœur de la question ; il a insisté sur toutes les conséquences qu’aurait une prise en considération qui ébranlerait l’autorité morale de la chambre, il a fait entendre que le gouvernement n’avait pas trop de la réunion de toutes les forces pour conduire les affaires, et que le jour où les forces seraient affaiblies, la tâche deviendrait impossible.

Dès-lors tout changeait de face : la chambre n’avait plus devant elle une question théorique dont elle pouvait à son gré continuer ou ajourner l’étude ; mais elle avait un parti à prendre entre le ministère et l’opposition. Elle ne pouvait plus s’y tromper, surtout après avoir entendu M. Odilon Barrot, pour qui la motion de M. de Hauranne ne fut qu’une occasion, un prétexte de lancer contre le gouvernement les accusations les plus ardentes, et dont la harangue appelait né-