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voisin, au contraire, c’était la monarchie prise dans sa masse, c’était l’existence même de son gouvernement qui étaient en péril. Une victoire sur l’Èbre suffisait pour nous ouvrir le cœur du royaume et nous livrer Madrid.

L’Espagne avait donc un intérêt immense, un intérêt de salut à vivre avec nous dans une inaltérable harmonie. C’est ce qu’avait parfaitement compris la cour de Madrid. Voilà pourquoi, malgré bien des dégoûts, elle était restée si long-temps fidèle à l’alliance qui l’enchaînait à nous. Mais enfin elle s’était lassée de porter ce fardeau : elle avait ouvert l’oreille à d’imprudens conseils et dévié de la ligne de conduite qu’elle avait suivie avec tant de constance depuis la paix de Bâle. Bien des causes concoururent à opérer ce funeste changement. La vérité nous oblige à le dire, nos procédés hautains et la dureté de notre langage y ont eu la plus forte part. Napoléon n’avait pas su traiter les Espagnols avec les ménagemens que réclamait cette nation, fière encore et susceptible au milieu de ses misères. En maintes occasions, il l’avait blessée ; il avait exploité en dominateur peu scrupuleux l’incurie de Charles IV et la légèreté du favori. Mesurant ses exigences sur le mépris que lui inspirait le gouvernement espagnol, il l’avait traité moins comme un allié que comme un vassal. Ainsi, en 1801, il l’oblige à lui rétrocéder la Louisiane, et presque aussitôt il vend cette belle possession aux ennemis naturels de l’Espagne, aux Américains du nord, et, par là, il leur livre en quelque sorte le Mexique. Ainsi encore, après la rupture du traité d’Amiens, il impose à son alliée un tribut annuel de 72 millions, bien qu’à la rigueur elle ne fût pas forcée à le payer, l’alliance qui l’attachait à nous étant principalement une alliance maritime. Tant d’exigences avaient enfin révolté le cabinet de Madrid et provoqué de sa part une sourde réaction contre la politique et l’influence françaises. « Était-ce donc ainsi, disait-on, que l’empereur Napoléon récompensait une fidélité qui ne s’était pas démentie un seul jour ? et pourquoi l’Espagne lui sacrifierait-elle ses trésors et son sang ? quel intérêt personnel la poussait à prendre part aux luttes du continent ? que lui importaient, après tout, les destinées de l’Allemagne et de l’Italie ? Dans toute alliance librement contractée, les avantages devaient être réciproques. Ici, nul profit pour l’Espagne, aucune chance d’agrandissement, point de gloire, mais des charges intolérables. » Voilà ce qui se disait dans toute l’Espagne avant la bataille de Trafalgar. Ce grand désastre porta un dernier coup à l’alliance française. Toutes les ames furent contristées, et l’on se prit à maudire une union qui attirait sur la monarchie de telles calamités. Le malheur rend envieux ; on fit des rapprochemens pénibles ; on compara nos prospérités à la détresse de l’Espagne. « La France, dit-on, avait sans doute éprouvé des revers maritimes ; mais l’éclat de ses triomphes sur terre