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une si vive impatience de fondre sur le Portugal, que reculer maintenant, retomber dans la somnolence accoutumée, c’était à la fois se couvrir de ridicule et justifier tous les soupçons. L’embarras du favori était extrême. Il allégua d’abord la détresse des finances. « Le trésor public est aux abois, dit-il à M. de Vandeuil. Si le pape n’accorde pas les bulles nécessaires pour procéder à la vente de la moitié des biens du clergé, il sera impossible au gouvernement de soutenir l’état des dépenses actuelles et de compléter les armemens. Puis il se plaignit de la tiédeur du public, de la répugnance que montraient plusieurs provinces, notamment Valence et la Catalogne, à faire des sacrifices. Enfin, baissant la voix comme s’il confiait un grand secret, il déplora amèrement que l’âge et les préjugés du roi missent obstacle à l’accomplissement des promesses qui nous avaient été faites, notamment en ce qui touchait la réorganisation de l’armée[1]. »

Il n’y a pas de termes assez sévères pour caractériser la conduite tenue en 1806 par le prince de la Paix. Ce ne sont plus là de simples erreurs comme tous les hommes sont exposés à en commettre : ce sont des fautes qui laissent après elles des traces profondes et ineffaçables, de ces fautes qui perdent les dynasties et les peuples, et qui appellent sur leurs auteurs les flétrissures de l’histoire.

La cour de Madrid avait le choix entre deux systèmes : d’un côté, fidélité scrupuleuse à l’alliance de la France ; de l’autre, rupture et guerre avec cette même puissance. Nous croyons fermement que, dans les conditions où se trouvait l’Espagne en 1806, le plus sage encore pour elle était de s’identifier sans réserve avec la politique de la France, de prévenir, par l’ardeur et la franchise de son dévouement, jusqu’à l’ombre d’un soupçon dans l’esprit de son redoutable allié. Napoléon, une fois bien convaincu que les princes d’Espagne avaient pour jamais séparé leurs intérêts des Bourbons de France et de Naples, eût probablement laissé Charles IV finir tranquillement ses jours sur le trône. Sa position était compliquée d’assez grandes difficultés sans aller s’en créer gratuitement de nouvelles en attaquant traîtreusement les droits d’un souverain dévoué et soumis à toutes ses volontés. Cependant nous ne nous expliquons que trop les soupçons, les anxiétés des princes d’Espagne après l’événement tragique de Vincennes et la catastrophe de la maison de Naples : nous concevons leur désir, leur impatience de s’assurer des garanties contre le danger éventuel d’une spoliation dans la protection de l’Angleterre ; mais c’était là un parti violent, extrême, désespéré en quelque sorte, et ils n’auraient dû s’y engager qu’avec des précautions infinies. La prudence la plus vulgaire leur commandait d’attendre, pour se livrer à des armemens offensifs, le résultat des premiers

  1. Lettre de M. de Vandeuil, novembre 1806.