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des Français des vaisseaux espagnols chargés de nègres destinés au travail des mines. Appliqués aux cultures, ces captifs montrèrent, pour le malheur de leur race, qu’il n’était pas impossible d’obtenir ce qui avait manqué ; jusqu’alors, les bras à bon marché et la discipline dans les ateliers. Le mécanisme producteur étant trouvé, le capital européen se précipita de lui-même dans les îles américaines, et y multiplia les établissemens, au point d’improviser une population nombreuse[1]. L’Algérie en est encore à la première phase des tâtonnemens et des illusions : il est à craindre qu’elle n’y reste long-temps, si le gouvernement ne l’aide pas, à la manière des Hollandais, à trouver le genre d’exploitation, le régime industriel, qui doivent assurer son avenir.

Quoi qu’on fasse, une colonie n’existe définitivement que lorsqu’elle paie, ou du moins lorsqu’on est certain qu’elle pourra payer, avec les ressources de son propre sol, la totalité des dépenses qu’elle entraîne. La colonisation de l’Algérie doit donner lieu, avons-nous dit[2], à des frais exceptionnels et considérables. Or, plus un domaine a de lourdes charges à supporter, plus il est nécessaire d’en perfectionner l’exploitation, afin d’élever les produits au niveau des besoins. La première condition d’une culture riche et lucrative est un capital abondant. Ce n’est pas avec l’argent algérien, qui se paie au moins 12 pour 100, que l’on pourrait défricher l’Afrique française. Les puissances financières de la métropole n’interviendront que lorsqu’on leur aura fait voir bien clairement les chances d’un notable bénéfice. L’état aurait pu fournir à l’agriculture algérienne une subvention proportionnée à ses premiers besoins sans tirer un seul écu de ses coffres : il eût suffi d’offrir la garantie d’un minimum d’intérêt, non pas, comme l’a demandé M. Lingay, pour l’ensemble des spéculations coloniales, mais seulement pour un petit nombre d’entreprises présentées au public comme types d’exploitation et mesure de ce qu’on doit espérer. En garantissant un intérêt de 3 pour 100, et en appliquant à l’amortissement du premier fonds toute la portion des bénéfices acquis au capital, le trésor n’aurait couru aucune chance fâcheuse. Il eût été matériellement impossible qu’une exploitation bien située en Afrique, avec un personnel nombreux et choisi, une excellente direction des travaux, un capital toujours au niveau des besoins, ne donnât pas 3 pour 100 d’intérêt. La responsabilité

  1. Ébranlées aujourd’hui par l’affranchissement des noirs et la concurrence du sucre, de betterave, les colonies à esclaves sentent que leur temps est passé, et elles en sont chercher une autre loi d’existence. Au lieu de spéculer sur l’avilissement d’une partie de l’humanité, elles demandent au capital et à la science des Européens le secret d’élargir les débouchés par un nouvel abaissement des prix, et de réaliser des bénéfices assez forts pour payer convenablement des travailleurs libres. C’est une solution de ce genre qu’il faut espérer pour l’Afrique française.
  2. Voir les principes développés dans notre précédent article, exposé critique des essais et des systèmes, livraison du 1er février 1847.