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deux élémens étaient inconciliables. L’antagonisme existe moins dans les choses que dans les mots. L’industriel serait dévoré par l’Arabe, sil ne se montrait pas tant soit peu soldat, et, si le soldat ne devient pas industriel, il sera dévoré par la misère. M. le maréchal Bugeaud a été dans le vrai le jour où il a dit : « La colonisation civile, si elle est prévoyante, deviendra très militaire, de même que la colonisation militaire deviendra inévitablement civile. »


II. – LE TRAVAIL.

Toutes les difficultés qui s’opposent à la colonisation de l’Algérie se résument en une seule : insuffisance des bras. Voulez-vous estimer la portée réelle d’un système, examinez, en vous plaçant au point de vue du salarié, quelles sont les chances qu’offre ce système pour réunir les ouvriers nécessaires à une bonne exploitation. Toute entreprise qui ne s’assurera pas le concours des travailleurs par des avantages exceptionnels et solidement garantis échouera. Si des échecs multipliés découragent la classe agricole, le peuplement sera si long et si pénible, que la métropole à son tour perdra patience. Pour tout dire en un mot, les ouvriers sont, en Afrique, les maîtres de la situation. Il faut compter avec eux. En parlant ainsi, nous exprimons une conviction profonde, confirmée par les études et les informations de chaque jour.

La difficulté de recruter les travailleurs en nombre suffisant s’est présentée à l’origine de toutes les colonies. Dans les Antilles, le problème a été résolu brutalement par l’introduction de l’esclavage. Si l’on a généralisé l’emploi des noirs, ce n’est pas que la race blanche soit incapable de supporter les ardeurs tropicales, comme les planteurs ont fini par se le persuader. Les opérations les plus pénibles, le défrichement et la mise en valeur, ont été accomplies par les Européens ; mais, comme chacun d’eux arrivait avec des illusions extravagantes, avec un désir fiévreux de richesse, la spéculation resta long-temps désordonnée et improductive. A défaut de salariés libres, on ne parvint à régulariser les travaux d’ensemble qu’en introduisant des troupeaux d’esclaves. Grace au ciel, l’esclavage a fait son temps. Un autre moyen souvent mis à l’essai par les peuples colonisateurs est d’organiser le travail au moyen des indigènes ; mais ce régime n’est applicable qu’au sein d’une population débile, maniable et incapable de résistance : telles étaient les peuplades sauvages apprivoisées par les jésuites dans les missions de l’Amérique du Sud ; tels sont les lâches Asiatiques exploités aujourd’hui par les Anglais et les Hollandais. Nous ne repoussons pas l’emploi des indigènes en Algérie ; nous croyons au contraire qu’ils sont appelés à rendre de grands services comme auxiliaires, et qu’il sera d’une bonne politique de les utiliser autant que possible. Néanmoins chercher dans les races