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à un chiffre normal en rapport avec le prix moyen des objets de consommation, soit, par exemple, 2 francs 50 cent. pour la journée du manœuvre : ce chiffre, divisible par cinquième[1], pourrait être augmenté ou réduit selon la capacité ou les services rendus par chacun. Ainsi un bon semeur, un bouvier soigneux, un horticulteur exercé, pourraient obtenir par exception un ou plusieurs cinquièmes en plus, et voir leur salaire quotidien élevé à 3 ou 4 francs. La journée d’une femme serait de trois ou quatre cinquièmes, 1 franc 50 cent., ou 2 fr. ; l’enfant, pendant l’âge où une partie de son temps serait passée à l’école, recevrait 50 centimes ; depuis l’adolescence jusqu’à l’âge adulte, il pourrait obtenir le double. Nous réduirions à neuf heures de travail la journée, qui est de douze heures dans les ateliers de l’Europe. Nous avons calculé, d’après ces bases, que la famille du simple manœuvre, fournissant 300 journées d’homme, 300 journées de femme, et de 400 à 600 journées d’enfans, selon leur âge, réaliserait annuellement 1,500 fr., et que pour cette somme elle obtiendrait un logement sain et en partie meublé dans les bâtimens de la compagnie, 2 1/2 kilogrammes de pain blanc de première qualité, 1 kilogramme de viande, 1 litre de vin[2] par jour, les menus alimens, le combustible, les soins médicaux, l’école pour les enfans, et qu’il resterait un boni d’environ 250 francs pour l’habillement et les besoins divers ; cet excédant serait augmenté, à la fin de l’année, par la gratification subventionnelle, qui, suivant nos prévisions, flotterait entre 400 et 500 francs, chiffres qu’une exploitation heureuse élèverait progressivement. A coup sûr, une telle perspective, offerte aux familles pauvres et laborieuses, est de nature à déterminer ce mouvement d’émigration duquel dépend le salut de l’Algérie. Nous ajouterons que ces conditions favorables faites à l’ouvrier, loin d’écraser l’entreprise, deviendront au contraire en Afrique la garantie du succès industriel. On comprend maintenant pourquoi nous avons posé en principe que toute exploitation africaine doit, comme les plantations des Antilles, spéculer sur la vente d’une ou deux denrées commerciales, et ne produire les vivres que pour le personnel du domaine. Les alimens, produits économiquement et consommés sur place, coûteraient fort peu[3]. Que sur la fourniture faite chaque jour à l’ouvrier la compagnie ait un bénéfice net de 1 franc, le salaire effectif

  1. Nous proposons cette division par cinquièmes, parce qu’elle rendrait très facile la répartition des dividendes attribués au travail.
  2. Le vin serait acheté en France, car il n’y aurait aucun avantage à le produire en Afrique. Ce seul article ouvrirait une source féconde de bénéfices à nos vignobles et à notre marine marchande.
  3. La production des grains en Algérie est surtout écrasée par les frais de transport. Pour envoyer le blé à un marché un peu éloigné, il en coûte de 2 fr. 50 cent. à 3 francs par hectolitre. C’est une réduction d’environ 20 pour 100 que le producteur subit sur son bénéfice. On les gagnerait au contraire par la consommation sur place.