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des pouvoirs de l’organisation divisés les uns contre les autres, un moi multiple, tel est le point de départ de la nature dans la formation de l’homme et le point de retour de l’idiotie. M. Serres, auquel nous devons la découverte de ces belles lois qui président à la formation de nos organismes, a remarqué chez les monstres acéphales une face et des épaules énormes, unies à des rudimens de cerveau. Nous retrouvons dans l’idiotisme la concordance des mêmes phénomènes : la prédominance du système facial et des épaules sur le système encéphalique est d’autant plus caractérisée que nous prenons un cas d’idiotie plus inférieure. Le même observateur éminent a démontré sur l’embryon la dualité primitive des organismes ; il y a dans l’origine la moitié d’un homme à droite et la moitié d’un homme à gauche ; ces deux parties symétriques viennent plus tard se réunir sur la ligne médiane. S’il arrive que ce travail de conjonction des organes s’interrompe avant la naissance, nous aurons un cas de monstruosité physique. Certains phénomènes de l’idiotie rappellent au moral cette dualité embryonnaire des organismes. Un idiot âgé de quarante-huit ans, quand il entra dans l’établissement du docteur Belhomme, éprouvait le besoin des sensations paires : si on le touchait à un bras, il se faisait toucher au bras opposé ; si même il s’était fait mal à une jambe, il se frappait l’autre : un jour une bûche lui tomba sur le pied droit, il saisit la bûche et se la fit tomber sur le pied gauche. Il serait extrêmement curieux de savoir si cette dualité primitive des sensations existe chez l’enfant nouveau-né, et si elle s’efface, dans les cas ordinaires, par le progrès de la vie, tandis qu’elle persiste chez les êtres arrêtés. Nous avons rencontré nous-même, il y a deux mois, une fille de six ans imbécile, chez laquelle le regard se faisait en deux temps : les objets du monde extérieur envoyaient de la sorte à son cerveau une double image, confuse et troublée, qui l’empêchait de rien reconnaître. Les deux yeux agissant, si j’ose ainsi dire, séparément, il fallut d’incroyables efforts pour ramener chez elle les phénomènes de la vision à l’unité.

L’homme n’est point achevé quand il vient au monde ; le travail de formation continue après la naissance ; la nature fait alors passer l’enfant par une nouvelle série d’états transitoires. Dans toute une classe d’idiots, nous retrouvons les caractères de la première enfance. Des savans ont passé leur vie (et certes il en est de plus mal employées) à étudier les développemens d’un insecte ; n’a-t-on pas lieu de s’étonner qu’il ne se soit pas encore rencontré un philosophe pour observer à la loupe de l’intelligence les transformations du moral et du physique chez l’homme depuis sa naissance jusqu’à l’âge adulte ? Ces commencemens si précieux pour l’histoire de notre espèce et pour la philosophie naturelle ont été jusqu’ici négligés. La première ouverture de l’esprit, l’épanouissement moral du cœur, rendu visible sur la figure de l’enfant