Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils saccagent les lois qu’ils ont créées la veille ; ils agissent sous l’influence irrésistible d’une passion instantanée, d’une émotion passagère et superficielle ; la passion s’apaise pour faire place à une autre, l’émotion se calme, cette flamme superbe s’évanouit ; que reste-t-il ? Un succès de hasard qui étonne d’abord et va bientôt se briser contre un autre hasard. Ce sont les efforts qui se neutralisent et finissent par aboutir à une commune faiblesse, et, voyez, vous êtes réduit à de faux grands hommes, à des héros d’un moment, à des simulacres de génie, à des ombres qui se poursuivent comme faisaient Gomez et Alaix de célèbre mémoire pendant la guerre civile : triste histoire qui se résume dans cette amère boutade écrite par un mordant satirique, Larra, sous le titre d’El Hombre-Globo, — l’homme-ballon ! Le symbole ne trompe pas. L’homme-ballon monte au milieu du bruit ; chacun bat des mains d’abord et applaudit ; mais voilà qu’élevé au plus haut des airs et déjà singulièrement rapetissé à tous les yeux, ce pauvre globe est sans direction ; il vacille, s’agite et s’abandonne à tous les vents, et il se trouve même qu’un jour l’homme-ballon a épuisé son gaz ; alors il est bien forcé de descendre ; il va s’abattre sur quelque plage nue, au loin, dans l’exil, peut-être même sur un échafaud. Dites-moi, n’est-ce point l’histoire de tant de gloires éphémères de ce fantôme de premier consul qui n’avait pris à Bonaparte que ses discours, comme on s’en souvient, de ce premier ministre proclamé indispensable huit jours durant, et qui était ensuite précipité du faîte de sa grandeur ? Combien d’autres en trouverait-on encore ! Larra était un profond observateur politique ; ses pamphlets sont la physiologie la plus vive, la plus animée, la plus sombre parfois, toujours la plus inexorable de cette révolution à laquelle il a assisté sans vouloir en attendre la fin.

Étudier l’Espagne politique, il faut bien le dire, c’est étudier l’anarchie sur le vif, dans son expression la plus nue et la plus saisissante. C’est dans les mœurs administratives qu’éclate surtout le désordre et qu’il est le plus à déplorer, parce que c’est par là que le gouvernement a l’influence la plus directe sur la nation. Le régime absolu avait laissé à l’Espagne nouvelle une administration usée, corrompue, sans ressort, où un formalisme stérile, qui tendait à tout immobiliser par les lenteurs, couvrait des habitudes séculaires de gaspillage, de vénalité et d’arbitraire. Certes, le premier besoin était de changer cette institution vermoulue qui n’avait de puissance que pour le mal ; mais la révolution, en y portant la main, n’a pas subitement refondu les mœurs : elle n’a fait qu’y introduire un nouveau dissolvant, — la passion politique. L’administration, à proprement parler, n’est point encore organisée en Espagne et ne peut avoir d’action efficace. Elle n’a pas le prestige et la consistance que donnent les traditions ; elle a été si souvent modifiée dans son principe même, que ses attributions restent dans la pratique