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sur leur visage, viennent essuyer son sang et sa sueur. Chaque année, la France envoie de Paris de jeunes peintres à Rome pour se familiariser avec les chefs-d’œuvre de la peinture dans cette patrie des arts ; ne devrait-elle pas en envoyer également à Madrid ? Là, sans sortir de l’enceinte du Musée, ils rencontreraient tous les exemples ; ils trouveraient surtout des élémens de comparaison, ils pourraient confronter toutes les écoles à cette grande école espagnole, qui apparaît au Musée de Madrid dans toute sa puissance, dans toute sa splendeur, dans toute sa gloire. Je ne sais si c’est une erreur, mais il me semble que l’esprit d’un artiste trouverait les plus solennels enseignemens dans cette étude comparée des plus grands maîtres, s’il pouvait voir presque en même temps les œuvres de Murillo, de Velasquez, de Ribera, de Zurbaran, d’Alonso Cano, à côté de celles de Raphaël, du Titien, du Tintoret, de Véronèse, de Rubens, il y aurait pour lui le même intérêt qu’il peut y avoir pour un poète à comparer Homère à Dante, Calderon à Shakespeare, le Tasse à Virgile. Une chose frappe bien vivement, en général, dans la peinture espagnole, c’est l’exactitude avec laquelle elle fait revivre la nature, même la plus horrible, la plus dégoûtante, c’est l’énergie avec laquelle elle exprime la réalité ; pour elle, l’homme est toujours un être humain qu’elle ne cherche point à transfigurer. On sait avec quelle étrange puissance, je dirais presque avec quelle préférence, tous les peintres espagnols reproduisent la misère, les guenilles. Prenez si vous voulez d’autres sujets. Quelle figure prête plus à la transfiguration, parmi les héros du monde antique, que Prométhée ? Dans le tableau de Ribera, Prométhée n’est pas cependant ce grand rebelle qui va ravir le feu du ciel et reçoit avec orgueil son châtiment ; c’est un géant énorme cloué sur son rocher ; le vautour fouille dans son foie déchiré et sanglant ; les muscles de ses membres se contractent affreusement ; il semble qu’on va entendre ses cris, tant son visage est travaillé par la douleur. Voyez encore dans un autre genre les vierges de Murillo ; elles n’ont pas la grace idéale, pure, divine des vierges de Raphaël ; leur grace est plus humaine, elles vivent de notre vie, elles ont pour ainsi dire une beauté terrestre, plus saillante encore dans ces nuages blancs et roses dont il les entoure. Ce qui est toujours admirable dans les tableaux de Murillo, c’est la splendeur du coloris, l’art savant avec lequel le peintre fait jouer la lumière, la richesse variée des teintes. Velazquez s’attache encore plus que Murillo à la reproduction de la réalité. Il n’en faudrait pour preuve que ce tableau des Borrachos, — les Ivrognes, — qui est l’inimitable peinture de ces festins grossiers où l’homme tourne à la brute. C’est l’épopée grotesque de l’ivresse. La Reddition de Breda et les Forges de Vulcain sont également au premier rang parmi les ouvrages de Velazquez et dans la peinture espagnole.

Je n’ai nommé que quelques hommes et quelques œuvres. Ce serait