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de l’école dirigée par M. Lambert, mais, en résistant à Méhémet-Ali, je n’ai pas eu la satisfaction de le persuader. Je cite ce petit fait parce qu’il met en relief un caractère commun aux gouvernemens orientaux. Tous, en effet, y compris le gouvernement réformateur de l’Égypte, sont convaincus que chaque homme, et principalement chaque Européen, est propre à toute chose.

Le rôle politique de Méhémet-Ali, comme chef indépendant de l’Égypte, a été préparé par les siècles. De tout temps, l’Égypte a tendu à vivre de sa vie propre. Le lendemain de la conquête, quand le vieux Caire existait à peine, les prétentions d’Amrou, son fondateur, inquiétaient déjà le calife Osman. Deux siècles plus tard, Ahmed, fils de Touloun, établissait une dynastie indépendante. Depuis lors, les sultans d’Égypte, c’est le nom que prirent les vizirs de cette province, ne reconnurent que nominalement l’autorité des califes. Ils finirent par les attirer au Caire comme les rois de France attirèrent les papes à Avignon. Il en a été ainsi jusqu’à la conquête ottomane. Les derniers chefs mamelouks défendirent héroïquement contre Sélim l’indépendance de l’Égypte. On montre encore attaché à l’une des portes du Caire le crochet où fut pendu Toman-Bey, l’un de ces vaillans Mamelouks qui, nés d’une race étrangère, étaient devenus par la force des choses une personnification de la nationalité égyptienne. Depuis la conquête ottomane, Méhémet-Ali n’est pas le premier qui se soit révolté contre le grand seigneur. Plusieurs chefs mamelouks l’essayèrent à diverses reprises. Le plus célèbre et le plus récent fut le magnanime et malheureux Ali-Bey. Lui aussi fit la guerre au sultan et conquit pour un moment la Syrie. Ali-Bey a devancé et préparé Méhémet-Ali, comme les réformes de Sélim III ont pu inspirer celles de Mahmoud.

Ce rôle de maître indépendant de l’Égypte qu’avaient joué tant de chefs guerriers, l’obscur habitant d’une petite ville de Macédoine devait le jouer de notre temps. Cette ville est la Cavale, berceau de Méhémet-Ali et… des tulipes, qui de là se sont répandues en Europe. Méhémet-Ali est fier d’être du même pays qu’Alexandre, si célèbre parmi les Orientaux sous le nom d’Iskander, comme il se vieillit, dit-on, d’une année pour avoir l’âge qu’aurait Napoléon. Il fallut à un aventurier, qui était entré dans le pays avec cent hommes, une grande habileté pour se substituer aux mamelouks et s’établir malgré la Porte. Il sut se rendre populaire parmi les soldats, tout en protégeant les ulémas et les habitans. Au sein de l’anarchie, tout principe d’ordre est un germe de puissance. Bientôt la Porte s’effraie et veut lui enlever l’Égypte en le confinant dans un pachalik d’Arabie. Méhémet-Ali se fait retenir par les habitans, et achète la permission de rester au Caire, c’est-à-dire d’y régner. Dès ce moment, sa carrière est connue. Il extermine les mameloucks, délivre des Wahabites les villes saintes et l’Arabie entière, puis