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convoita la Syrie, ce pays dont le sort a toujours été lié aux destinées de l’Égypte et le sera toujours. On sait les succès étonnans de 1833 et les revers plus étonnans encore de 1839.

Après la bataille de Nezib, dernière victoire due à la valeur d’Ibrahim et à l’habileté militaire de Soliman-Pacha, la fortune de Méhémet-Ali sembla s’arrêter comme en présence d’un objet formidable et invisible ; c’était la puissance morale de l’Europe qui lui faisait signe de loin. Dès-lors les revers succédèrent aux revers. Beyrouth, héroïquement défendue par le courage français de Soliman, fut bombardée, et les Anglais, en prenant Saint-Jean-d’Acre la difficile, comme disent les Arabes, enlevèrent à Ibrahim l’honneur d’avoir seul fait capituler une place qui avait résisté à Bonaparte. L’armée égyptienne se fondit comme par enchantement. Les manœuvres habiles et cruelles d’un Allemand au service de la Porte, le général Jockmus, que j’ai eu occasion de connaître à Constantinople, en isolant des points de ravitaillement les débris de cette armée, en précipitèrent la destruction ; mais ce qui frappait tout à coup d’impuissance les soldats jusque-là victorieux de Méhémet-Ali, c’était la volonté de l’Europe. On vit alors que les plus extraordinaires fortunes de l’Orient ne sauraient tenir contre les desseins de la civilisation occidentale. Que serait-il advenu si nous avions soutenu Méhémet-Ali ? Je ne sais ; mais je suis certain que dans ce cas les vainqueurs de Nezib n’auraient pas disparu devant le général Jockmus.

Telle a été la carrière de Méhémet-Ali, l’une des plus extraordinaires de ce siècle. Je dirai deux mots seulement du gouvernement qu’il a donné à l’Égypte et de ce qu’il a fait pour elle.

Il y aurait de la niaiserie à voir un libérateur et un philanthrope dans celui qui régit si durement l’Égypte ; d’autre part, il serait peu équitable de juger un Turc avec les idées européennes, un homme qui s’est frayé un chemin au pouvoir à travers mille périls et mille tempêtes d’après nos notions de justice exacte, un despote d’Orient d’après les principes du gouvernement constitutionnel. Ainsi, il est une mesure prise par Méhémet-Ali au commencement de son règne (on peut employer cette expression), qui nous semble inouïe. Un beau jour, il a confisqué l’Égypte ; il s’est déclaré propriétaire unique du sol ; il en a réglé la culture, s’est réservé le droit d’en acheter seul les produits, et au taux qui lui conviendrait. Le monopole commercial a suivi naturellement la prise de possession du territoire. Qui possède seul peut seul vendre, et, s’il daigne acheter ce qui lui appartient, il est bien le maître d’en fixer le prix. Certes, cet accaparement du sol est une mesure révoltante. Sans la justifier, on peut chercher à s’en rendre compte en considérant ce qu’avait été la propriété en Égypte avant Méhémet-Ali, et en général ce qu’elle est dans tout l’Orient.

La matière est obscure, et je n’entrerai pas dans le détail des controverses