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cité de Minerve et la cité de Neptune. Le dieu patron des villes égyptiennes auquel il donnait son nom était pour elles ce que sont les saints pour nos villes modernes ; une ville s’appelait du nom d’Horus, de Phta, d’Ammon, comme aujourd’hui elle s’appelle Saint-Étienne, Saint-Omer, ou Saint-Malo.

Dès le temps de Strabon, Héliopolis était bien déchue de son ancienne splendeur ; elle portait des traces nombreuses des ravages de Cambyse ; Strabon l’appelle déserte. Cet ancien trouvait déjà ici des ruines ; en vain, curieux comme nous le sommes aujourd’hui, demandait-il le collége des prêtres au milieu desquels Platon et Eudoxe étaient venus étudier l’astronomie ; personne ne savait où avait été ce collége, pas même le cicérone de Strabon, l’Égyptien Chéremon, ignorant et grand faiseur d’embarras comme les ciceroni de tous les temps. Plus tard, Manéthon écrivit à Héliopolis ce livre sur l’histoire d’Égypte si malheureusement perdu et dont la table des matières seule nous reste, précieux débris qui, grâce à la découverte de Champollion, éclaire chaque jour d’une lumière plus vive la chronologie égyptienne. Au VIIe siècle de notre ère, toute culture n’était pas éteinte à Héliopolis, car on y voit naître alors Callinique, qui, selon le témoignage des auteurs byzantins, porta à Constantinople l’invention du feu grégeois.

Le feu grégeois a laissé une mémoire mystérieuse et formidable ; l’eau, disait-on, était impuissante à l’éteindre, et les plus braves des croisés tremblèrent devant un prodige dont l’enfer seul pouvait être l’auteur. Quelques connaissances chimiques les auraient rassurés. On établit en ce moment[1]d’une manière très plausible qu’une enveloppe de matière graisseuse entourant une composition salpêtrée explique parfaitement et reproduirait au besoin ce facile miracle, sans reproduire, il est vrai, les circonstances merveilleuses qu’y ajouta quelquefois la crédule imagination de nos pères ; mais si le feu grégeois n’est pas quelque chose d’aussi extraordinaire qu’on l’a dit et qu’on le répète encore, au moment où il perd l’auréole de terreur surnaturelle qui entourait son nom, il acquiert en revanche une importance nouvelle dans l’histoire des arts militaires et de la civilisation, car il paraît aujourd’hui prouvé que, sous la dénomination de feu grec ou, comme on disait au moyen-âge, de feu grégeois, on désignait plusieurs combinaisons dans lesquelles le salpêtre jouait le rôle principal, et qui ressemblent fort à la poudre à canon. Seulement on les employait plutôt comme arme incendiaire que comme force explosive, pour fabriquer des artifices qu’on lançait sur l’ennemi plutôt que pour chasser des projectiles. Le feu grégeois n’en était pas moins, par sa composition, très

  1. MM. Reinaud et Favée, dans leur travail sur le feu grégeois.