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au croissant aminci, laisse pleuvoir sur les arbres les pâles lueurs d’un crépuscule argenté ;

… A moon, that, just
In crescent, dimly rained about the leaf
Twilights of airy silver.

Ils franchissent ainsi les collines ; ils descendent, de roche en roche, vers les quais ténébreux :

« La ville, au-dessous de nous, était assoupie et se taisait. Plus bas encore, la mer unie dormait dans la baie. La verte bouée, jetant au loin, par momens, comme une étincelle phosphorique, s’enfonçait d’elle-même et surnageait ensuite… Et nous avions la joie au cœur. »


Avons-nous besoin d’insister, même après une traduction forcément imparfaite, sur la vérité de ces paysages, de ces impressions, de ces souvenirs, qui, par leur simplicité même, semblaient échapper à la poésie, et que la poésie a cependant élevés, sans déroger elle-même, à la hauteur de sujets plus nobles ?

Ces citations l’auront fait deviner, Tennyson est un paysagiste remarquable, et, sous ce rapport, ses compatriotes, excellens juges, lui rendent une ample justice. Ils lui reconnaissent, avec les qualités idéales de Claude Gelée, le sentiment plus vrai des peintres nationaux, tels que Gainsborough, Calcott, etc. Pour nous, il nous a semblé parfois, en lisant ou la Fille du Meunier, ou la Fille du Jardinier, que nous avions sous les yeux quelque petit chef-d’œuvre de Constable, ses arbres mouillés de rosée, ses bois à demi perdus dans la brume, ses flaques d’eau tapissées de nénuphars, son pâle soleil dont un nuage jaloux va masquer les clartés humides.

Keats, — il faudra toujours parler de Keats quand on dissertera sur la poésie de Tennyson, — est un paysagiste de fantaisie et d’école. Un critique habile a constaté la ressemblance de ses tableaux avec les fonds du Titien ou d’Annibal Carrache. On a remarqué de même la frappante analogie que présentent les peintures éblouissantes de Turner et les descriptions merveilleuses, les horizons impossibles, les palais féeriques, créations gigantesques du cerveau de Shelley. Tennyson est plus modéré, plus vrai, plus précis que ses deux devanciers. Il serre de plus près une nature dont il semble plus réellement épris. Voyez plutôt, dans la Fille du jardinier, cette journée de mai éclairant un site du comté de Kent ou de Surrey :

All the land in flowery squares
Beneath a broad and equal blowing wind
Smelt of the coming summer, etc.

On entend, sur cette plaine aux compartimens fleuris, passer le