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des sentences une petite philosophie de salon, qui, je crois, n’a pas eu raison une seule fois dans l’espace de ces cinquante années. M. de Bonald, plus grave, plus contenu, critique et moraliste pénétrant quand la passion ou la logique ne l’entraîne pas, raisonneur froid et méthodique, qui embarrasse l’esprit sans le convaincre, et argumente avec sévérité sur des principes gratuits et des faits inexacts, passait pour avoir découvert, dans l’intimité de ses méditations, les bases profondes de la plus superficielle des doctrines, l’absolutisme spéculatif. Enfin un élève, un émule, un adversaire de Rousseau, un écrivain du premier ordre, qui sait concilier avec un art suprême la dialectique et la passion, esprit excessif et misanthropique, qui a sondé avec complaisance les plaies les plus tristes de l’homme moral, prêtait aux traditions, aux préjugés même, l’autorité d’une argumentation pathétique, et donnait à l’église, contre la philosophie, l’arme d’une hautaine offensive. Il fallait donc suivre sur ce terrain ces nouveaux adversaires, démêler leurs sophismes, mettre à nu leurs côtés faibles, leur arracher leurs meilleures raisons, opposer enfin à ces doctrines de circonstance, qui, ayant fait défaut à la vieille monarchie en péril, venaient un peu tard la réhabiliter en théorie, une philosophie politique plus vraie sans être moins élevée, et tout à la fois plus pratique et plus profonde.

Comme ce fut une tactique des partis de lier, au moins en apparence, les intérêts de la religion à ceux du pouvoir absolu, de rendre à dessein le christianisme contre-révolutionnaire, il fallut bien que la philosophie politique devînt une philosophie religieuse. Et ainsi, de proche en proche, le débat s’étendit au domaine entier de la philosophie même. Une nouvelle métaphysique dut s’élever, appropriée aux besoins du temps. Excité, comme à l’ordinaire, par une nécessité ou par une émotion, l’esprit humain remonta ainsi par degrés dans cette sphère haute et pure où l’émotion devrait disparaître, et les nécessités d’un jour faire place à la puissance éternelle de la vérité.

Mais, en dehors de cet ordre d’idées où se plaisent certaines intelligences qui ont, pour ainsi parler, la spécialité de l’universel, l’esprit moderne avait dû se replier sur des questions non moins importantes, non moins difficiles, qu’il avait à résoudre sur nouveaux frais. La contre-révolution faisait au temps son procès, elle accusait ses mœurs, et avec elles ses lois. Elle entreprenait de prouver à la société nouvelle que la société nouvelle avait tort d’exister, et devait s’annuler par scrupule de conscience en confessant que c’était par fraude ou du moins par mégarde qu’elle était venue au monde. Sur ce point s’élevait nécessairement un débat historique. Les mœurs d’une nation viennent de son passé ; les institutions civiles naissent presque d’elles-mêmes, comme les veut l’état effectif de la société. Obligé à retrouver la raison d’être de la société moderne, on devait donc rechercher de nouveau les origines