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c’est le sort de ceux mêmes qui font du talent d’exprimer la pensée l’emploi le plus difficile et le plus éclatant, les orateurs. En vain parviennent-ils à la gloire, leurs discours restent peu dans la mémoire des hommes. Ceux de Cicéron lui-même sont les moins lus de ses ouvrages, et les oraisons imaginaires que les grands historiens prêtent à leurs personnages, compositions méditées avec art et calculées pour l’effet littéraire, produisent peut-être plus d’impression à la distance des siècles que les harangues vraies qu’inspirèrent l’émotion et la nécessité, et qui, du haut d’une tribune réelle, dominèrent les frémissemens d’une assemblée vivante.

Cet exemple, le plus frappant de tous, peut servir à justifier une appréciation plus indulgente de la littérature, ou, pour mieux parler, des talens littéraires de ce temps-ci. Avant toute autre improvisation, en effet, il faut placer celle de la tribune politique. C’est un talent littéraire, en ce sens que les plus rares et les plus précieux dons de l’écrivain y sont nécessaires, hormis l’art d’écrire lui-même, mais avec un surcroît d’autres énergiques qualités de l’ame que ne réclame nullement la composition d’un ouvrage. Et cependant ces œuvres d’esprit, où il entre tant d’autres choses que de l’esprit, ne sont pas estimées dans les lettres pour ce qu’elles valent ; elles y figurent à peine, et l’on ne fait pas compte à une époque de ce qui se dépense à la tribune de pensées et d’expressions, d’imagination, de mouvement, de fécondité, d’habileté dans l’exposition, de vigueur dans les déductions, toutes qualités cependant fort prisées dans les livres. Il m’a été donné d’entendre, depuis trente ans, mais surtout depuis seize, des choses qui, je n’en doute pas, égalent ou surpassent en mérite ce qu’aucune assemblée publique a pu entendre. Qui ne croit pourtant que les éloges immodérés dont la presse salue les orateurs qui lui sont chers ne soient des hyperboles de parti ? Qui met sérieusement dans son esprit nos grands orateurs au rang des maîtres classiques de la pensée ? On ne l’ose pas, et pourquoi ? C’est une première injustice envers notre temps.

Après l’improvisation de la tribune vient, à une grande distance, l’improvisation du journal. La presse périodique aussi consomme beaucoup d’esprit et ne produit pas de renommée. Dans un pays où tout se discute en public, où l’art d’écrire est devenu l’instrument universel des intérêts et des affaires, combien ne doit-il pas se montrer de talent, et du meilleur, en des occasions où l’on n’ira pas le chercher ! Qui pourrait garantir que, sur la rédaction d’un article de loi, le sens des dispositions d’un traité, la direction d’un chemin de fer, il ne se sera pas souvent publié un mémoire comparable, pour l’élégance ou la clarté, pour la force ou la méthode, pour la verve ou le raisonnement, à quelque chapitre d’un ouvrage immortel ? J’ai lu sur les haras telle brochure qui attestait un écrivain.