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qui, au lieu de penser pour mieux croire, feint de croire pour éviter de penser, qui n’adopte des traditions saintes que comme des garanties de tranquillité, et qui rebâtirait le temple de Salomon pour y mettre en sûreté le veau d’or, c’est un spectacle corrupteur dont peut-être les hommes d’intelligence et d’étude n’ont pas bien compris la sévère leçon ; la contagion quelquefois a paru les gagner ou les effrayer ; tous n’ont pas vu quel grave devoir naissait pour eux dans cette dispersion funeste des forces morales de la société.

Les plus sages se sont retirés de la lice pour attendre de meilleurs jours ; mais d’autres, ou plus faibles ou plus ardens, se sont d’abord abandonnés à l’entraînement universel. Que, dans les premières années après 1830, livré aux excès de la pensée, l’esprit humain ait affiché l’insensée prétention de refaire l’essence même de la société, de créer de toutes pièces une morale et une religion, d’abolir la propriété, la famille et le mariage, de retrancher de ce monde la liberté de l’individu, tolérée jusqu’ici par la divine toute-puissance : ces preuves de folie spéculative, ces puérilités menaçantes d’une science superficielle et d’une philosophie irréfléchie devaient faire à l’esprit humain une obligation de se contenir et de se dominer, c’est-à-dire de reconnaître ses limites et de respecter ses propres lois ; mais plus tard, mais aujourd’hui, à l’aspect de cette panique sociale, produite à la fois par l’émeute des intelligences et par l’émeute des factions, il fallait se découvrir un autre devoir, celui de résister encore. La résistance, voilà aujourd’hui la mission de l’esprit humain ; en veillant sur lui-même, en s’attachant intimement à la vérité, en s’unissant aux nobles passions qui peuvent l’animer, il fallait tout à la fois qu’il luttât contre le matérialisme quand il attaque sous les formes de l’anarchie, et quand il se défend par les armes d’une réaction. Mais non ; la pensée troublée ou séduite a cédé au temps ; elle s’est rendue la complaisante ou l’interprète de cette inimitié craintive de la raison, de cette misologie que raillait Socrate, et, poursuivre la mode, elle a voulu faire des affaires. Se regardant comme une branche du travail national, elle a demandé pour ses produits un prix rémunérateur, et, par voie de conséquence, elle a fait chœur avec le mercantilisme pour prôner à l’envi l’incertitude de la raison et les illusions de l’intelligence. Des artistes ont laissé soupçonner que le talent n’était, après tout, qu’un moyen neutre de réussir, que la pensée écrite était une denrée dont la production pouvait se régler par l’offre et la demande, et qui devait être servie au goût des consommateurs. Les uns ont fourni les paroles, et les autres la musique à cette marseillaise de l’industrialisme qui retentit dans tous les rangs de la société.

On trouve des raisons pour tout, et la théorie se soumet en esclave au despotisme des passions humaines. Le fatalisme historique est là tout prêt à justifier, comme des transitions nécessaires, les erreurs de chaque