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Napoléon : Napoléon en avait un non moins pressant à gagner l’homme dans lequel se personnifiait le gouvernement de l’Espagne. Qui pouvait prévoir ce que tenterait l’audace d’un favori ambitieux et d’une mère dénaturée, s’ils étaient soutenus, encouragés par le chef de la France ? Des esprits troublés par la peur devaient tout admettre et tout craindre. Dans une extrémité aussi affreuse, les conseillers de Ferdinand jugèrent qu’il ne lui restait plus qu’un seul moyen de déjouer la trame ourdie par sa mère et son rival : c’était de s’adresser directement, et dans le plus grand secret, à l’empereur, d’implorer sa haute protection et de le supplier de lui choisir une épouse parmi les princesses de la famille impériale. Un nouvel ami, un guide, vint soudainement en aide, dans cette grave circonstance, au prince des Asturies. Cet ami, ce guide, fut l’ambassadeur de France en personne, M. de Beauharnais.

La fortune, qui avait secondé jusqu’ici avec tant de constance les desseins de Napoléon, qui avait mis sur sa tête la plus belle couronne du monde et à ses pieds presque toute l’Europe, la fortune lui avait refusé la satisfaction la plus douce, celle de laisser à sa postérité un trône élevé au prix de tant de périls et d’efforts. L’impératrice avait perdu l’espoir de le rendre père. Ce n’était pas le seul malheur de cette princesse. Bien qu’aucune femme peut-être n’ait possédé à un plus haut degré l’art de plaire et d’attacher, elle n’avait pas cessé d’être en butte à la haine des frères et des sœurs de son mari. Ils redoutaient l’ascendant qu’elle pouvait exercer sur lui, et craignaient qu’elle n’en abusât au profit de ses enfans, Hortense et Eugène Beauharnais. Ils accusaient sa stérilité, qui laissait, disaient-ils, le trône impérial sans garantie. Enfin ils poussaient leur frère à la répudier et à chercher, dans des enfans issus d’un nouveau mariage, des gages de la durée de sa dynastie. Joséphine n’ignorait aucune de ces manœuvres secrètes, et elle se consumait de douleur dans l’appréhension d’un divorce qui l’écarterait à la fois du trône et du lit de l’empereur. Bien moins pour rehausser l’éclat de sa maison qu’afin de se créer des points d’appui contre la haine des Bonaparte, elle était incessamment préoccupée d’élever, par des alliances princières, les membres de sa famille. Elle avait une nièce pleine de charmes et de graces, Mlle Tascher de la Pagerie, qu’elle aimait tendrement, et elle rêvait pour elle de hautes destinées.

Dès que M. de Beauharnais eut pris possession de son ambassade et qu’il eut été initié aux discordes de la famille royale d’Espagne, il conçut un projet inspiré par la connaissance qu’il avait des désirs secrets de l’impératrice sa belle-sœur : ce fut d’unir Mlle de la Pagerie au prince des Asturies. Il dut en écrire confidentiellement à l’impératrice et demander des instructions pour une circonstance aussi délicate[1]. La

  1. Je n’ai trouvé au dépôt des affaires étrangères aucune trace de cette correspondance de famille.